Chapitre 9 : Délit d’anticipation
— Pourquoi ai-je la sensation de braver les interdits ? lança Graciane en ricanant.
Alistaire se coula vers elle, les yeux brûlants.
— Je ne sais pas, chuchota-t-il en la plaquant violemment contre un large tronc d’arbre.
Le sol du parc était clairsemé d’une fine pellicule de neige, la nature environnante était silencieuse et le ciel dégagé. Le vampire posa ses lèvres contre son cou tout en basculant son bassin contre le sien pour l’immobiliser. Il frotta son nez contre sa gorge en écartant ses longs cheveux blonds. Il la huma délicieusement tout en la maintenant à quelques centimètres au-dessus de lui. Il plongea son regard de braise dans le sien tandis qu’elle lui souriait. Il lui captura la bouche, fiévreusement, s’en suivirent ses seins, autant que le lui permettait son débardeur à fines bretelles. Comme elle lui agrippait fermement les cheveux avec sa force Vim Sanguis, il se rassura en se rappelant que les vampires n’étaient pas touchés par la calvitie.
Il écarta son fessier, laissant une distance adéquate entre eux deux, avant d’afficher un petit sourire en coin, qui creusait joliment sa joue. Alors lorsqu’elle glissa ses deux mains au plus près de son intimité, il ferma les yeux de ravissement. C’était encore mieux que ce qu’il avait anticipé grâce à ses pouvoirs.
Des heures passèrent avant qu’ils ne reprennent le chemin du Repaire, où résidait Graciane. Ils marchèrent sans se presser à travers bois.
— Pourquoi n’as-tu jamais créé de Prolis ? J’ai hâte d’être en 2030, lorsque je serais enfin autorisée, l’interrogea Graciane alors qu’elle avisait le ciel étoilé.
— Je n’ai pas ressentis de déclic chez les humains que j’ai pu côtoyer.
— Attends, si je compte bien, cela fait plus de mille ans que tu aurais pu agrandir les rangs de ton clan mais que tu n’as pas voulu puisque qu’aucun ou aucune n’était pour toi, à la hauteur ?
— Oui, mille vingt trois ans exactement, répondit-il ses yeux grenat légèrement dans le vague.
— Waouh ! C’est un accord tacite au sein du Clan du Grand Parc ? Parce que les autres c’est un peu pareil, Esteban, Léocadie… même ton Créateur Ogier a attendu pas mal de temps.
— Oui plus de cent soixante ans avant de me transformer. Il faut croire que nous sommes très exigeants, victimes d’un perfectionniste outrancier.
Comme elle agitait la tête avec un petit sourire, elle croisa ses yeux, deux rubis usé par le temps.
— Olala quand je pense au nombre d’années que tu as passées en tant que vampire, je me demande comment tu as fais. D’ailleurs, ce doit être un secret de Clan, ton chef, Taraise a été métamorphosé en sept cent quarante sept, c’est approximativement mille deux cent années de plus que le Grand Maître ! C’est incroyable.
— Que veux-tu ? répondit Alistaire en haussant ses épaules massives.
— Mais il faut dire que vos pouvoirs sont carrément impressionnants et très utiles contre les attaques des sorciers.
— C’est sûr !
Ils marchaient main dans la main dans l’obscurité réconfortante des arbres lorsqu’une voix féminine retentit, tout près d’eux : « ah oui vraiment ? ».
Les deux vampires se retournèrent promptement tandis qu’un petit groupe de sorciers apparaissait derrière eux. Prune, la sœur de Sosthène avait ramassé ses cheveux dorés en une haute queue de cheval et portait bien en vue ses redoutables armes aiguisées. Elle était encadrée par Victorine, la sœur d’Eliott Combas, de Viviane et Elfléda les deux sœurs de Karen Combas et enfin de Siegfried, le fils de Viviane. Alistaire prit immédiatement une position de combat, il grogna pour faire bonne mesure et sans même s’en rendre compte, il s’interposa de sa large carrure entre les sorciers et Graciane. Cette dernière ne s’en offusqua pas et s’élança dans les airs avant d’atterrir à quelques pas du jeune sorcier. Elle lui asséna un violent coup de pied au thorax et il s’effondra, la respiration coupée. Elle ne perdit pas une minute et tenta de déstabiliser les deux sœurs, Viviane, fortement déconcentrée par la chute de son fils reçut un violent coup au visage. Elle chuta lourdement au sol avant de ramper jusqu’à Siegfried s’assurer de son état.
— Grace attention, derrière-toi ! l’interpella Alistaire.
La jeune Vim Sanguis se retourna en planant à bonne hauteur tandis qu’Elfléda se préparait à décocher une gerbe de sorts. Elle esquiva chacune des étincelles avant de reposer ses deux pieds sur le sol humide. Graciane, redoutable grâce à son sang de Vim Sanguis, faisait s’abattre un déluge de coup de pieds et de poings tandis que les Chaunay, se défendaient comme ils pouvaient. Les premières étincelles rouges et vertes jaillissant frénétiquement de leurs paumes rebondirent contre son corps bandé sans que cela n’eut un quelconque effet sur elle.
— Ne lâche rien Siegfried, l’encouragea sa mère, Viviane.
Graciane grogna et lévita hors de portée, alors que les sortilèges doublaient d’intensité. Elle fut touchée plusieurs fois, sa poitrine commença à perler de minuscules goutteles vermillon, son débardeur bleu nuit se macula rapidement d’une substance poisseuse. La Vim Sanguis ne renonça pas pour autant, elle tenta d’assommer ou tout au moins de blesser suffisamment la sorcière avant que ses forces ne disparaissent totalement.
Alistaire se plaça entre les deux sorcières. Victorine et surtout Prune ne lâchaient rien, lançant des sorts tout en essayant de l’atteindre avec leurs mains et pieds – de façon quelque peu hasardeuse concernant Victorine. Prune tira un petit poignard de son emplacement situé sur sa cuisse et débuta un enchaînement maîtrisé. Le vampire, les crocs en dedans, demeurait placide. Alors que Prune visait son bras gauche et Victorine sa poitrine, il esquiva en se déplaçant de quelques centimètres sur la droite.
Victorine prépara un lourd assaut de sortilèges, ses mains s’illuminèrent puissamment d’un éclat cramoisi. Sans se départir de son flegme, il se décala encore et encore, silhouette évanescente, indomptable. Victorine et Prune s’échinaient à essayer de le blesser, s’agitant en tous sens, la respiration bruyante, des perles de sueur à la lisière de leurs cheveux blonds.
Tandis qu’il demeurait insaisissable pour les deux sorcières, il vit Graciane en assez mauvaise posture, ses forces la quittaient, ses réflexes étaient grandement affectés et sa poitrine et ses bras dégoulinaient de sang.
Il aurait pu continuer ainsi jusqu’à épuisement total des deux sorcières, mais il ne pouvait se permettre d’attendre l’aube.
Il asséna un violent coup de coude dans la pommette de Victorine qui explosa sous l’impact. La sorcière s’éloigna, une grimace sur le visage. Prune s’acharna hargneusement contre lui : elle s’empara de deux poignards et s’escrima à défendre sa vie, malgré l’énergie du vampire. Il para plusieurs coups très agiles mais la sorcière était rapide, alors elle parvint toutefois à planter sa lame dans l’abdomen d’Alistaire. Ce dernier commençait sérieusement à fatiguer, il devait récupérer Graciane au plus vite et la reconduire au Repaire avant qu’il ne dispose plus de la force nécessaire.
Victorine envoya une puissante Lux Sphaera en direction de Graciane. Le temps sembla se suspendre, Alistaire tourna la tête vers elle, tandis que la vampiresse réalisait petit à petit se qu’il se passait.
L’impact fût mémorable.
Graciane s’effondra vers l’arrière, son corps massif chuta lourdement sur le sol d’or blanc.
Alistaire ne put retenir une bruyante exclamation. Prune en profita pour lui porter un coup de sa lame effilée. Le sang redoubla, tâchant plus encore son pull noisette. Il se rapprocha tant bien que mal que Graciane en tenant sa plaie d’une main. La vampiresse était immobile, faible. Alors que Prune riait aux éclats en chargeant une boule de lumière dans sa paume, Alistaire usa de ses dernières forces pour hisser Graciane sur ses épaules avant de se tourner vers les deux sorcières belliqueuses. Il puisa le reste de pouvoir qui lui restait et esquiva l’attaque, avant de s’envoler vers la cime des arbres, Graciane dans les bras, toujours inconsciente.
Tandis qu’il rejoignait le Repaire, il ne cessait de jeter d’inlassables coups d’œil inquiets à Graciane dont la tête dodelinait contre sa poitrine. Il s’encouragea à voix basse, sa plaie à l’abdomen aspirait ses dernières forces, il se demanda même s’il parviendrait à ramener Graciane à l’abri avant l’arrivée de l’aube. Alors que la jeune vampiresse ne remuait pas, il sentit ses pouvoirs quitter son corps massif, il dut piquer en direction du sol tapissé de feuilles dorées. Sa vue se troublait, il serra les poings, il se devait de résister encore, pour Graciane…
Il jeta un tendre regard à la jeune Vim Sanguis alors qu’il se sentait s’effondrer.
Il émergea quelques minutes après, une pluie fine entamait son manège sous le regard charmeur de l’astre solaire dont les premiers rayons illuminaient le ciel à demi couvert. Tournant son visage tordu par la douleur, il put constater que Graciane n’avait pas reprit connaissance, une cicatrice étoilée marquait son épaule. Il se redressa sur un coude, parcourant les environs en clignant incessamment des yeux, alors que le jour se levait fièrement.
Incapable de les ramener tous deux au Repaire, ils s’affaibliraient et resteraient inconscients si aucun vampire allié ne les retrouvait. Il pria pour qu’aucun sorcier ou vampire ennemi ne tombent sur eux par hasard, sinon s’en serait terminé d’eux.
Dans un dernier élan, il tira Graciane à couvert, sous un large sapin afin qu’elle soit le moins possible affectée par la lumière du jour. Alors qu’il utilisait ses toutes dernières forces, il s’effondra avant de regagner lui-même l’obscurité des branches basses et touffues.
L’astre étirait ses rayons sur toute l’étendue de la forêt tandis qu’il s’élevait petit à petit vers les cieux grisâtres en passant par la légère couche de brume. Il jeta un regard à Alistaire, éclairant délicatement son visage de prime abord avant de l’étudier dans le détail. Sa peau blafarde s’illumina alors que les faisceaux caressaient ses joues, sa mâchoire, ses paupières closes. La jeune vampiresse se trouvait à ses côtés, une main recroquevillée dans la sienne. Ses cheveux mordorés s’enflammèrent d’innombrables reflets tandis que le soleil se perdait dans ses douces mèches. Tout deux immobiles, le soleil taquin, aspirait leurs dernières forces, les emprisonnaient dans l’écrin de son ventre dodu.
— Cette satanée Prolis ! Isidore n’a d’yeux que pour elle, lâcha Diane les yeux exorbités.
Laudine, assise aux côtés de sa Maîtresse sur le second fauteuil parme situé dans la chambre, agita la tête.
— Comme si elle était la plus douée du Repaire, pff. De toute façon je vois clair en lui, il projette de se débarrasser de nous, oui, les Nebula sont bien moins intéressants pour lui et ses combats avec l’ennemi ! Ce n’est pas aux Nebula qu’il apprend ses fichues techniques de défense ! Non ! Pourquoi perdre du temps avec le rang inférieur ! S’époumona Diane tout en s’agitant sur son fauteuil.
Laudine écoutait silencieusement, la mine inquiète.
— Tiens je comprends mieux que certains aient pu s’élever contre lui, il se dit bienfaiteur, différent, évolué, tu parles ! Il discute de ceci de cela avec Lad, et moi dans tout ça ? Mon avis, il n’en a cure !
Laudine souhaitait lui faire reprendre son calme alors elle lui proposa d’une toute petite voix : « Maîtresse, laissez-moi vous apporter un peu de sang frais, si vous le permettez ».
Diane agita la main comme lui signifier qu’elle le pouvait si cela lui plaisait.
Alors, Laudine descendit à la Réserve, Sévérian ne put retenir un froncement de sourcils tandis qu’elle se dandinait de l’escalier jusqu’aux doubles portes. En entrant, elle parcourut la pièce de son regard acéré qui s’arrêta subitement sur un jeune homme à l’allure assurée. Elle se précipita sur lui, le tira par le bras pour le faire se lever. Tandis qu’elle se dirigeait avec l’homme vers les doubles portes, la responsable des Ancilla Minium l’interpella sévèrement : « vous ne pouvez pas l’emmener ! Ils ne sont pas autorisés à quitter la Réserve ! ». Son regard ne trahissait en rien une quelconque peur de la vampiresse. Elle saisit fermement l’autre bras du donneur tout en foudroyant Laudine. Cette dernière souffla bruyamment avant de rétorquer : « c’est pour la Maîtresse des Nebula Tenebrae ! Vous n’oseriez pas le lui refuser ? ». Laudine avait lancé sa dernière réplique d’un ton doucereux en haussant les sourcils.
— Les mêmes règles s’appliquent à tous !
La jeune black ne put s’empêcher de dévoiler ses crocs. La vieille femme soutint son regard, la mâchoire crispée. Laudine finit par lâcher le bras du jeune homme, qui retourna s’asseoir sur son fauteuil écarlate. La vampiresse passa au comptoir et s’empara violement d’une bouteille en verre contenant du plasma d’un éclatant vermeil, avant de repasser les doubles portes et retourner à la chambre de sa Créatrice.
— Je vous ai sélectionné le meilleur breuvage ! lança-t-elle, enjouée, en refermant la porte.
Diane s’empara de la bouteille qui lui était tendue et la pointa à ses lèvres machinalement. Tandis qu’elle ruminait, Laudine s’efforçait de trouver quoi répondre.
— Pourquoi ne pas créer d’autres Prolis, Maîtresse ?
— Ne le prends pas mal Laudine mais je déteste les nouveaux vampires. C’est imprévisible, ça requiert énormément d’attention, je déteste materner ! Ils sont si faibles, si ignorants, non, je ne pourrais plus m’en occuper. Je ne le referais plus, une fois il y a plus de dix ans, désormais je n’ai plus la patience !
La vampiresse fit une mine contrite sans répondre.
Il perçut un liquide sucré, agréable, chaud sur ses lèvres. Il aspira ce qui lui était offert. Très vite, il sentit de maigres forces lui revenir, ses sens se déclenchèrent à nouveau et il sentait qu’il réinvestissait un corps mouvant. Lorsqu’il eut la force de soulever ses paupières, il vit un vampire penché sur lui, après avoir fait le point, il s’aperçut qu’il s’agissait d’Ogier. Son Créateur le fixait avec inquiétude, quelques rayons de soleil filtrait à travers les branchages et éclairaient la nature environnante, en se reflétant sur les centaines de feuilles cuivrées éparpillées.
Il était parvenu à lui envoyer un appel à l’aide par la pensée quelques secondes à peine avant de sombrer.
Tandis qu’Ogier le hissait sur ses épaules, il aperçut Valère, un grand brun à la large carrure faisant lui aussi partie du Clan du Grand Parc, prendre dans ses bras, Graciane, avec délicatesse. Puis ils quittèrent la terre ferme tout en restant le plus possible sous le couvert des arbres, pour éviter au maximum les rayons du soleil.
Le sang que son Créateur l’avait contraint à avaler lui avait permis de reprendre connaissance, mais l’infime quantité et l’heure matinale participèrent à rendre sa blessure douloureuse de nouveau.
Sous l’éclat de l’astre solaire, Ogier transporta son Prolis sans faiblir tandis que son visage blême était caressé par de doux rayons. Ses iris vermeils attirèrent la lumière qui s’y refléta, illuminant son air sombre et déterminé. A ses côtés, Valère portait Graciane tout en survolant le sol à l’abri des pins et marronniers. Il lui jetait quelques brefs coups d’œil, la jeune vampiresse n’ayant pas soulevé les paupières une seule fois. Elle était totalement inanimée, les bras ballants, Valère devait puiser considérablement dans ses forces pour parvenir à la soutenir, mais il ne flancha pas et les deux vampires gagnèrent enfin l’abri confortable du Repaire. Sévérian et Héribald se hâtèrent de leur ouvrir le grand portail en fer puis de les aider à porter Graciane et Alistaire jusqu’au dernier sous-sol. Ils furent étendus à même les cristaux de roche, Héribald remonta chercher quelques bouteilles de la meilleure cuvée d’hémoglobine disponible.
Lorsqu’il revint dans la pièce très peu éclairée, Graciane et Alistaire se remettaient petit à petit de leurs blessures, leurs plaies et contusions disparaissant au fur et à mesure qu’ils puisaient dans l’énergie des blocs. Ogier se chargea d’administrer le contenu visqueux à son Prolis en lui soutenant la tête.
Le vampire reprit connaissance à la suite de quelques heures où il fut bordé par son Créateur. Lorsqu’il se redressa sur ses coudes, il parcourut immédiatement la pièce des yeux à la recherche de Grace. Comme il s’apprêtait à balancer ses pieds par dessus le bloc de cristaux, Ogier le retint d’un geste vigoureux du bras.
— Elle n’a pas encore reprit conscience, on s’occupe d’elle, reste tranquille, tu as encore besoin de repos.
Comme il la vit allongée à quelques mètres de lui, l’air serein, pas le moins crispé par la douleur, il consentit à reposer sa tête sur la surface dure, quelques peu soulagé.
Alistaire ne put réprimer le besoin de surveiller lui-même Graciane, étendue sur les cristaux. Il prit appui sur son coude et garda ses yeux rosis dardés sur son visage inexpressif.
Ogier veilla longuement sur son Prolis avant de se rendre dans le bureau d’Isidore afin de le remercier de les accueillir au Repaire jusqu’à la tombée de la nuit. Le Grand Maître, balaya d’un geste nonchalant de la main ses propos en lui assurant qu’ils étaient les bienvenus à tout instant.