Vers le contenu

M’enregistrer •Connexion •


  • SITE •
  • HEROIC-FANTASY •
  • INDEX DU FORUM • vos TEXTES : Littérature et autres genres • Apportez vos textes : toutes les LITTERATURES (par genres) • Heroic Fantasy


Prémices d'un futur [Explicite]

Règles du forum
Ecrire un commentaire
9 messages • Page 1 sur 1
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 15 Jan 2017 22:07

[Bonjour à tous! Avant toute chose, je tiens à expliquer un peu ce projet. C'est donc une histoire d'héroïc-fantasy, que j'ai commencée il y a quelques mois, et qui comporte pour l'instant 12 chapitres. Pour être tout à fait franc, la plupart des chapitres sont du "premier jet" donc il peut subsister quelques fautes, répétitions etc. De plus, les premiers chapitres ne sont, à mon sens, pas les mieux écrits, notamment au niveau du point de vue. Néanmoins je les laisse comme tel à l'heure actuelle, car c'est aussi important pour moi de voir comment je me suis amélioré tout du long (et que j'ai un peu la flemme de les réécrire maintenant aussi). Bref voilà, sachez aussi que j'ai peu de temps pour écrire donc ça n'avance pas trop à l'heure actuelle. Voilà, en espérant que ça vous plaise, je ne vais pas vous mettre les 12 chapitres d'un coup, mais voilà le premier!]

Chapitre 1 : Jeune homme

« - Venez goûter mes légumes ! Venez goûter mes fruits !
- Du bon poisson frais, venez venez !
- Des objets de collection, des antiquités de l’ère ancienne, n’hésitez plus ! »

Des phrases d’accroches, aussi multiples que variées, étaient lancées à tout va au milieu du brouhaha qui animait la place centrale de ce petit village. C’était sous un magnifique ciel bleu, avec un soleil plus resplendissant que jamais, qu’avait lieu, comme tous les quinze jours, le marché du village d’Urtah. C’était certes un village de taille modeste, mais il attirait des foules impressionnantes lors de ces journées. Sous les grands arbres plantés au milieu de la place, de nombreux commerçants et artisans étaient présents pour vendre leurs produits. On trouvait là un boucher, ici un forgeron ou un menuisier, et on pouvait même parfois espérer croiser la jeune fleuriste venue tout droit de la « grande ville », comme les habitants l’appelaient.

Elle était présente ce jour-là, et on pouvait sans conteste dire que c’était elle qui attirait le plus de foules. Non pas seulement pour sa beauté, mais aussi et surtout pour celle de ses fleurs. On pouvait y trouver toutes sortes de plantes, parfois exotiques, et tout le monde voulait avoir la sienne pour pouvoir l’exposer devant chez lui, pour montrer à son voisin qu’il avait réussi à en obtenir une. Parmi sa collection, il y avait de magnifiques fleurs à la fois rouges et bleues venues des Îles du Sud, une grande plante jaune avec un nombre incalculable de pétales en provenance de la lointaine souveraineté de Sillis, et toutes sortes de petites fleurs roses venues des quatre coins du monde.

Il faut dire que pour cette petite bourgade située quasiment au centre du grand empire d’Irmald, il n’était pas courant de voir des produits venus d’aussi loin. Rare étaient ceux qui avaient les moyens de pouvoir se rendre jusqu’à la capitale, située plus à l’est du pays, à deux ou trois bonnes semaines de cheval, pour y ramener des produits exotiques, et plus rare encore ceux qui allaient à Malarth, le grand port de l’est, carrefour de nombreux commerces avec les autres pays. Ce n’était donc pas étonnant si, à chaque fois que cette jeune fleuriste venait, c’était un petit évènement pour les habitants. Elle le savait et, même si sa présence se faisait de plus en plus rare, elle aimait pouvoir profiter de ces quelques instants.

« - Excusez-moi ? »

Perdue dans ses pensées, la jeune fille, une magnifique fleur orange dans ses cheveux bruns, releva la tête vers la voix qui venait de l’interpeller. C’était un homme, entre vingt et trente ans, qui se tenait devant elle. Assez grand, pas bien gros, il avait des cheveux châtains bien coiffés et un visage qui lui était familier. Il portait une courte cape marron, une sorte de tunique avec un pantalon assez chic, sans non plus être ostentatoire, et des chaussures qui, pour le coup, n’allaient pas avec le reste, car elles n’étaient plus en très bon état. A sa ceinture, il y avait deux ou trois fioles remplies chacune d’un liquide visiblement différent, ainsi qu’un petit sac qui semblait bien chargé. Ses petits yeux verts se plongeaient dans le regard de la vendeuse, qui continuait de l’observer, persuadée qu’elle l’avait déjà vu.

« - Excusez-moi ? Est-ce que vous avez les graines de Fleur d’Ethram ? »

De nouveau perdue dans ses pensées, elle sursauta en entendant la question, avant de reprendre son sourire et son air calme habituel.

« - Ah, vous êtes le monsieur de l’autre fois, je me souviens de vous, se mit-elle à dire, souriante. Je suis désolée, mais mon fournisseur n’a pas réussi à en trouver… C’est que c’est une plante rare, vous savez !
- Oh, je vois, répondit le jeune homme avec une pointe de déception dans ses paroles. Dans ce cas, je ne vais pas vous gêner plus longtemps. Merci quand même. »

Sur ces mots, il la salua et repartit comme il était venu. Elle continua de l’observer quelques instants, avant qu’il ne se perde totalement au milieu de la foule, et qu’elle se fit apostropher par un autre client, visiblement désireux de savoir combien pouvait valoir une magnifique fleur violette.

Le jeune homme continua son chemin, quittant la place centrale et ses étals pour se perdre dans les quelques ruelles du village, au milieu de grandes maisons aux balcons fleuris. Il semblait que tout le monde, par ici, vivait dans un certain confort. Il n’y avait pas une seule maison délabrée, les rues étaient propres, et personne ne semblait se plaindre. Bien que perdu au milieu de nulle part, il y faisait bon vivre. Par moment, il pouvait voir à leurs fenêtres des personnes âgées profitant du soleil de la journée, de jeunes couples s’embrassant sur les balcons ou des enfants jouer avec un ballon en peau dans les rues. A aucun moment, cependant, il ne se laissait distraire, continuant son chemin jusqu’à arriver devant un bâtiment un peu plus grand que les autres, à la sortie d’Urtah. Visiblement, c’était une sorte d’auberge, avec quelques chevaux à l’extérieur. Il ne prit pas la peine d’aller à l’intérieur et, sous le regard du propriétaire de l’établissement, monta sur le cheval qui était probablement le sien, avant de sortir du village en saluant le gérant.

Urtah avait, contrairement à beaucoup d’autres villages du pays, non seulement la chance d’en être au centre, mais d’être aussi un des points de séparation entre les grandes plaines de l’est et les innombrables hectares de forêt qui peuplaient le centre de l’empire. Celui-ci était situé au sud/sud-est de l’espèce d’énorme croissant, même si il n’était pas de forme parfaite, formant le continent d’Emeris. Il avait ainsi la chance de profiter de la quasi-totalité des côtes du Sud, les quelques portions restantes appartenant à son voisin et rival Aernast. La partie est du pays, la plus peuplée, comprenait notamment plusieurs grands ports, mais aussi et surtout Herzol, la capitale impériale. Le centre du pays, lui, était en grande majorité composé de forêts luxuriantes avec de petits villages, alors que le sud contenait principalement des plages de rochers et de gigantesques falaises, avec quelques grandes villes. Plus à l’ouest, à la frontière avec le Royaume d’Aernast, c’était de grandes montagnes qui prédominaient, très peu habitées. Ainsi, une bonne partie des personnages voyageant depuis l’est de pays passaient par Urtah, ce qui lui avait valu une faible mais néanmoins existante notoriété.

Cependant, sur son cheval, le jeune homme prenait la direction de l’ouest, et commença à s’enfoncer un peu dans les bois alentours. Toutes les forêts du centre du pays étaient en fait plus ou moins rassemblées pour former un tout, un continuum d’arbres, ajoutant de la grandeur à l’ensemble. Cela donnait au final une magnifique forêt, très éclairée et avec de gigantesques arbres qui, pour la plupart, devaient bien avoir plusieurs centaines d’années d’existence derrière eux. On pouvait aussi y trouver de nombreuses fleurs, buissons et plantes diverses faisant la joie de tous ceux désireux d’en étudier les propriétés. La faune n’était pas en reste, car si l’on pouvait croiser des sangliers, écureuils, insectes, oiseaux et autres animaux divers et variés, comme dans la plupart des forêts, il se pouvait parfois, si la chance vous souriait, que vous y croisiez des espèces plus rares, et certains racontaient même que des esprits pouvaient parfois s’y promener…

Il continua sa route, la connaissant vraisemblablement très bien, durant quatre bonnes heures, s’arrêtant juste parfois pour ramasser une plante et la ranger dans son sac. Il arriva finalement dans une petite clairière, au sein de laquelle se trouvait une maison de bois qui, sans être imposante, était tout de même grande. Au vu des fenêtres, elle possédait vraisemblablement deux étages. Un balcon se profilait en haut de la maison, et le toit, plat, était recouvert de divers végétaux qui, pour certains, retombaient sur les murs avec une grâce certaine. De la fumée grise s’échappait de la cheminée, et une douce odeur arrivait aux narines du jeune homme et de sa monture. A côté de la maison, on pouvait notamment trouver un puits, un petit cabanon assez rustique, ainsi qu’un enclos dans lequel se tenait déjà un cheval. Au milieu de la clairière, devant la maison, un immense arbre, plus grand que ceux qu’il avait pu voir sur son chemin, se dressait et des centaines, voire des milliers de fleurs l’arboraient.
En arrivant ici, un léger sourire se forma sur son visage. Il alla déposer son cheval dans l’enclos, l’attachant avec précaution et lui caressant doucement la face, avant de se rendre à l’intérieur du bâtiment.

L’entrée donnait directement sur une grande pièce, unique. D’un côté, on pouvait y distinguer une sorte de cuisine, avec une cheminée à l’intérieur de laquelle une casserole était suspendue à une barre horizontale, divers rangements ainsi qu’une petite table, ne pouvant probablement pas accueillir plus de trois ou quatre personnes en même temps. Tout y était parfaitement bien rangé, chaque couvert, chaque chaise était à sa place, à l’inverse de l’autre côté de la pièce. On pouvait y voir quelques fauteuils sur lesquels traînait de la paperasse, de nombreuses bibliothèques avec des livres un peu dans tous les sens, ainsi qu’une immense horloge. En face de lui, un escalier circulaire permettait d’accéder aux étages supérieurs. Du côté de la cuisine, un peu à côté des rangements, une trappe laissait penser qu’il y avait aussi probablement des sous-sols.

« -Cadus ? C’est toi ? »

La voix provenait de l’étage supérieur, résonnant dans l’escalier. Le jeune homme n’eut pas le temps de répondre que, déjà, des bruits de pas se faisaient entendre et qu’un autre homme arrivait dans la pièce en descendant rapidement les marches. Plus petit, plus trapu, visiblement un poil plus âgé (probablement proche de 35 ans) son style contrastait presque totalement avec celui du dénommé Cadus. Il portait un tablier couvert de taches assez colorées pour la plupart et, en-dessous, un vieil haut déchiré et un pantalon un peu trop long, couvrant presque entièrement ses pieds. Ses cheveux étaient aussi beaucoup plus décoiffés, et une mèche un peu trop longue cachait son œil droit, marron. Il avait dans les poches de son tablier quelques plantes qui dépassaient, et on pouvait voir qu’il avait lui aussi à sa ceinture diverses fioles. En arrivant dans la pièce, un large sourire éclaira son visage.

« - Ah, Cadus ! Alors dis-moi, est-ce que tu l’as ? Demanda-t-il avec une certaine excitation dans la voix. »

Cadus le regarda, visiblement un peu dépité et, tout en posant sa cape sur l’un des fauteuils présents et en retirant ses chaussures, lui répondit d’une voix calme et posée.

« -Hélas non, Dauin. La marchande n’avait toujours pas de graines des fleurs d’Ethram. J’ai bien peur que notre fiole de Panacée ne soit pas encore prête aujourd’hui.
-Oh… C’est le seul ingrédient qui nous manque… soupira Dauin, perdant son grand sourire.»
Attristé, il remonta lentement l’escalier, suivi par Cadus. Ce dernier s’arrêta au premier étage, pendant que son compagnon continua vers l’étage le plus haut de la maison.

Ce premier étage était particulièrement rempli, tellement qu’il ne semblait n’avoir aucun ordre apparent. On pouvait observer trois grands alambics, dont deux étaient en fonctionnement, et quatre plus petits qui n’étaient pour leur part pas chauffés. Entre ceux-ci, là où il y avait de la place, de grandes étagères se dressaient, contenant des livres, des plantes, des parties animales ou différentes roches. Il y avait aussi une ou deux marmites posées sur des trépieds, au-dessous desquels un léger feu était allumé, piégé dans un cercle en pierre. Par terre, un peu partout ailleurs, il y avait des feuilles sur lesquelles étaient écrites de complexes formules qui trainaient. En entrant dans la pièce, Cadus prit un des tabliers accrochés, alla éteindre un des feux fonctionnant sous les alambics et s’approcha d’une des deux marmites, brassant lentement le liquide à l’intérieur à l’aide d’une grande louche, avant que Dauin ne revienne.

« - Qu’est-ce qu’on va dire au Cercle ? demanda-t-il, inquiet. On devait leur exposer notre grande découverte dans moins d’un mois…
- Eh bien on va repousser l’échéance, répondit le jeune homme en haussant les épaules. On s’est sûrement un peu précipité en annonçant notre découverte.
-Ils vont encore dire que nous ne sommes que des alchimistes de campagne… »
Soupirant profondément, le petit alchimiste s’approcha à son tour de la marmite. Il murmura quelque chose comme « Il ne manque que ça… », puis alla chercher un livre dans une des étagères et retourna de nouveau à l’étage supérieur.

Après deux ou trois heures passées à s’occuper des mélanges présents dans tous les contenants de la pièce, l’alchimiste éteignit tous les feux, posa son tablier là où il l’avait pris, et sortit.

La nuit était maintenant tombée. Fraîche mais claire, elle laissait apercevoir la lune, pleine, et les multiples étoiles présentes à travers l’immensité du ciel. Un léger vent soufflait, transportant avec lui quelques feuilles et fleurs provenant de la forêt voisine. Cadus s’allongea par terre et, pendant quelques instants, ferma les yeux, soupirant un peu par moment.

« - A quoi penses-tu ? »
Rouvrant les yeux, il aperçut à côté de lui Dauin, qu’il n’avait pas entendu arriver, visiblement trop perdu dans ses pensées pour cela.
« -J’espère juste que notre recette est bonne. J’ai envie de présenter une vraie découverte. Qu’ils arrêtent de nous considérer comme de piètres alchimistes.
-On a vérifié plein de fois. Il n’y a pas d’erreurs normalement, répondit l’autre alchimiste en s’asseyant à ses côtés. Mais tu les connais comme moi. Ils se croient plus forts que tout car ils bossent pour l’Empire. Ils me font un peu peur parfois… »

Le jeune alchimiste sourit un peu en entendant cette réponse, mais ne répliqua rien. Il se contenta de continuer à regarder le ciel plein d’étoiles, tout en sentant le vent frais sur son visage. Après quelques minutes passées ainsi, l’un à côté de l’autre, sans rien se dire, il se leva finalement et repartit à l’intérieur. Il gravit les escaliers jusqu’au deuxième étage, au sein duquel se trouvait une pièce beaucoup plus simple et beaucoup moins remplie que la précédente. En effet, elle ne contenait que deux lits simples, chacun à un bout de la pièce, ainsi que deux commodes et une étagère. Il se déshabilla, enfila une tenue plus simple et, sans plus attendre, éteignit la bougie qui éclairait la pièce avant de se coucher.

Un bruit sourd le réveilla en sursaut le lendemain matin. On aurait dit que quelque chose venait de taper fortement contre la maison. Il regarda vivement autour de lui, mais n’aperçut rien d’autre que son collègue qui dormait. Il se leva doucement, pensant que tout ceci n’était peut-être qu’un rêve, mais le bruit se fit entendre. une nouvelle fois. On tapait contre la porte, assez fortement. Et, ce coup-ci, il entendit aussi une voix qui criait.

« -Ouvrez vite, s’il vous plaît ! »

Sans plus attendre, et bien qu’ayant l’esprit encore un peu embrumé, il se précipita dans l’escalier pour descendre jusqu’au rez-de-chaussée et ouvrit la porte d’entrée. A l’extérieur, une jeune femme et un homme attendaient. L’homme portait dans ses bras un garçon, un adolescent yeux fermés.

« -S’il vous plaît, vous devez nous aider, se mit à crier la femme. On vient de Datre, et on l’a trouvé ce matin évanoui à l’entrée du village… Vous devez faire quelque chose ! »
Sans répondre, l’alchimiste regarda l’adolescent, puis le prit avec lui avant de l’emmener à l’intérieur, suivi par les deux autres personnes. Il le posa délicatement dans un fauteuil, passa sa main sur son front, puis se mit à crier fortement.
« - Dauin, réveille-toi ! Et ramène une fiole de concentré de Kaliom ! »

Un bruit sourd se fit entendre deux étages au-dessus et, en attendant qu’il descende, Cadus observa avec attention le garçon, à la recherche d’éventuelles traces. Il avait de courts cheveux bruns, et son visage avait encore les traits fins du début de l’adolescence. Il portait pour seul habit un haut à manche courte, déchiré mais qui devait vraisemblablement être chic initialement, et un pantalon court. Autour du cou, il avait aussi un collier avec au bout un symbole en or représentant deux éclairs. Sur son poignet gauche, un symbole inscrit représentait deux gouttes opposées à l’horizontale. Un peu partout sur son bras et ses jambes, on pouvait apercevoir des cicatrices et des traces de griffures. Sa respiration était haletante.

« - Où l’avez-vous trouvé exactement ? Demanda l’alchimiste aux deux personnes présentes.
- A l’entrée du village, à l’ouest. Il a dû arriver durant la nuit, car personne n’a rien aperçu hier soir, répondit l’homme.
- Vous n’aviez personne qui surveillait ?
- Non. On est un petit village tranquille vous savez. Nous n’avons que deux gardes, et ils doivent se relayer entre Datre et Aikah. Ils n’étaient pas là cette nuit. »

Cadus soupira un peu, mais avant d’avoir pu dire quoique ce soit de plus, Dauin déboula dans la pièce, un peu essoufflé, avec une fiole remplit d’un liquide vert peu engageant. Il l’apporta rapidement à son confrère qui lui prit des mains et en fit avaler presque la moitié au garçon. Il attendit quelques instants, puis rendit la fiole et se leva en direction des deux autres.

« - Bien, j’espère que ça fera l’affaire. Nous allons le surveiller, mais je pense qu’il s’en remettra. Nous vous préviendrons dès qu’il ira mieux. »

Soupirant de soulagement, ils sortirent de la maison, accompagnés par Cadus, montèrent sur les chevaux grâce auxquels ils étaient arrivés et repartirent en direction de Datre, petit village situé dans la forêt, à un peu plus d’une heure de la demeure des alchimistes. Fermant la porte derrière lui, l’alchimiste se fit aussitôt apostropher par son collègue.

« - Qu’est-ce qui se passe ? C’était qui eux ? Et lui ? Demanda-t-il en montrant l’adolescent du doigt.
- Ils l’ont trouvé ce matin évanoui aux portes de leur village. Et vu que nous sommes les alchimistes les plus proches… Mais viens voir ça plutôt. »

Lui faisant signe de s’approcher de la personne évanouie, il lui montra le signe qu’il avait sur le poignet gauche. Dauin ouvrit de grands yeux, et, après quelques instants où il sembla réfléchir, réussit finalement à exprimer ce qu’il pensait.
« - Un membre du Culte de Fae’orn ? Mais… Je croyais que leurs villages étaient situés à l’ouest de l’Empire, dans les montagnes…
- Précisément. A plusieurs jours d’ici… Je ne sais pas ce qu’il fait là, mais ce n’est probablement pas pour cueillir des champignons. Il nous dira sûrement ça à son réveil. »

La respiration du jeune garçon était devenue plus calme, plus régulière. Il semblait se remettre petit à petit. Durant la journée et la nuit suivante, Dauin et Cadus se relayèrent pour le surveiller, lui donnant de temps à autre des liquides plus ou moins étranges, surveillant sa respiration et son rythme cardiaque, étalant des sortes d’onguents sur les plaies encore un peu ouvertes qu’il avait.
Au petit matin, alors que les rayons du soleil commençaient tout juste à traverser les fenêtres, le jeune garçon commença à doucement ouvrir les yeux, sous le regard observateur de Cadus. Il se passa une main sur le front et, semblant finalement se réveiller complètement, sursauta un peu sur le fauteuil et tourna rapidement la tête de tous les côtés, apeuré.

« - Reste calme, lui dit doucement l’alchimiste. Tu viens juste de te réveiller, ne t’épuise pas déjà. Je suis Cadus Truns, alchimiste de fonction. On t’a retrouvé dans un village non loin d’ici, évanoui. On s’est donc occupé de toi. »

Le garçon se calma un peu, et plongea ses grands yeux bleus, visiblement remplis de questions, dans le regard de son soigneur. Il se passa de nouveau la main sur le front, comme lorsqu’on est atteint d’une forte migraine et, après quelques longues minutes de silence qu’il passa à regarder la pièce où il était, ouvrit finalement la bouche pour s’exprimer.

« - Je… euh… Je m’appelle Yzan… Yzan Raash. Je viens d’Irlidior, un village dans les montagnes de l’ouest…
- Quel âge as-tu, Yzan ? Demanda, toujours de son ton calme, Cadus.
- J’ai 13 ans Monsieur…
- Et qu’est-ce qu’un enfant de 13 ans comme toi fait aussi loin de chez lui ? »

Un nouveau silence s’établit entre les deux hommes. Yzan détourna son regard, et tripota machinalement le collier qu’il portait autour de cou. Visiblement, il ne voulait soit pas en parler, soit avait du mal à l’exprimer. A plusieurs reprises, il prit profondément sa respiration, sans rien dire, avant de finalement se décider à rompre le silence pesant qui s’était installé.

« - Mon village a été attaqué… Enfin, je crois. J’étais parti avec ma grande sœur… Quand on est revenu, on a vu qu’il y avait de la fumée, et on entendait des bruits bizarres… Comme des gens qui se battent. Elle m’a dit de ne pas m’approcher. Et puis, et puis… il y a eu les chevaux qui venaient. Elle m’a dit de me cacher loin… C’est ce que j’ai fait… J’ai couru, je, je… »
Cadus lui fit signe de s’arrêter là, alors que le garçon commençait à avoir les larmes aux yeux. Sa respiration était de plus en plus rapide, et raconter tout cela semblait l’avoir profondément épuisé.

« - Bien, inutile de m’en dire plus pour l’instant. Je vais aller te préparer à manger. Prends le temps de te reposer aujourd’hui. Nous irons voir les gardes du village demain matin, pour que tu leur racontes tout ça. En attendant, reste calme et évite les efforts inutiles. »

Le jeune garçon hocha la tête en signe d’approbation et, s’installant un peu mieux dans le fauteuil, ferma les yeux quelques instants, pour se calmer et reprendre un peu de force. Il avait du mal à penser calmement, du mal à réfléchir. Par instant, son corps se contractait au souvenir de ce qu’il avait vu. Au souvenir de la fumée au loin, des bruits de bataille, des chevaux qui approchaient, de sa sœur qui le laissait. Il sombra petit à petit dans le monde des rêves, avant d’être réveillé par une douce odeur. Il rouvrit les yeux et, en même temps qu’il se retourna pour savoir d’où cela venait, Dauin descendait les escaliers, visiblement attiré lui aussi par le doux fumet. Leur regard se croisa, et Yzan se cacha un peu derrière le fauteuil, ne laissait apparaître que les yeux et le haut de son crâne.

« - N’ait pas peur, lui dit Cadus. C’est Dauin, mon collègue de travail. Il est alchimiste lui aussi. Et il ne te fera aucun mal. »

A ces mots, le jeune homme se redressa, alors que le petit alchimiste vint lui serrer la main. Tous trois s’installèrent ensuite à table, autour du petit-déjeuner qui, bien que léger, avait déjà pour mérite de remplir un peu le ventre vide du nouveau venu. Après que Yzan eut raconté son histoire à Dauin, le repas se déroula en silence – ou presque au vu des bruits de mastication – et ce n’est qu’à la fin de celui-ci que l’alchimiste trapu prit la parole.

« - Alors comme ça, tu es un membre du Culte de Fae’orn, n’est-ce pas ?
- Euh oui… Pourquoi, vous ne l’êtes pas vous ? demanda timidement le garçon.
- Pas le moins du monde, répondit Cadus. Nous sommes alchimistes, donc nous faisons partis du Cercle du Savoir. »

Le jeune homme le regarda avec de grands yeux, ne semblant pas comprendre la relation de cause à effet entre le métier et l’appartenance à l’une des factions. Il ne posa cependant aucune question, et se contenta de baisser les yeux vers son assiette.
Le reste de la journée continua ainsi, sans encombre. Les deux alchimistes vaquaient à leurs occupations, surveillant du coin de l’œil l’adolescent qui se baladait un peu dans la maison et dehors, s’arrêtant parfois pendant une petite heure pour lire un des nombreux livres présents dans les bibliothèques. Non pas qu’il ne semblait réellement lire, car il mettait du temps à passer ne serait-ce qu’une page, mais il avait en tout cas le regard perdu en pleine réflexion, comme s’il ressassait sans cesse la même chose.

Après le repas du soir, où seuls les deux scientifiques discutèrent, Yzan sortit discrètement et s’allongea dans l’herbe devant la maison. Le ciel était plus couvert que la veille, cachant par moment la lune, mais on pouvait tout de même apercevoir bon nombre d’étoiles. Il les observa longtemps, tendant parfois sa main comme pour les attraper et, dans un soupir de tristesse, la laissait retomber doucement sur la douce pelouse.

« - Tu ferais mieux d’aller dormir. Demain, nous partirons dès les premières lueurs. »

Le jeune homme ne prit pas la peine de regarder qui était là. Cette voix ne pouvait être qu’à Cadus, beaucoup plus calme que celle un peu plus excitée de son compagnon. Il ne répondit pas et, après quelques secondes de silence, l’alchimiste vint s’allonger à ses côtés.

« - J’aime bien venir ici aussi. Observer les étoiles. Ça me détend. »

L’adolescent le regarda un peu, puis se retourna vers le ciel. Il ne répondit rien, de nouveau. Il se contenta d’observer, longuement. Il réfléchit. Comment se fait-il que regarder les étoiles puissent nous détendre ? Il ne savait pas. Ou plutôt, il n’était pas sûr de le savoir. Il n’était même pas sûr de savoir ce qu’était une étoile. Bien sûr, on lui en avait raconté des choses. Chaque étoile était un dieu ou une déesse. Un Faiseur, pour être précis. Il n’avait jamais totalement compris tout cela. Il n’était pas sûr de le comprendre vraiment un jour. Mais on lui avait dit que c’était comme ça, alors c’est ce qu’il avait retenu. C’est ce que ses parents lui avaient appris. Ces mêmes parents dont il n’avait aucune nouvelle.

Des larmes coulèrent doucement sur ses joues. Il n’avait pas pleuré – presque pas – depuis son départ. Il n’avait pas eu le temps pour ça. Il ne pensait qu’à aller loin, le plus loin possible. Loin de la fumée, loin des bruits. Mais ici, dans la tranquillité de la forêt, tout semblait revenir. A mesure que le vent soufflait sur son visage, les larmes coulaient de plus en plus. Il ne pouvait plus se retenir. Plus il y réfléchissait, plus il voulait s’arrêter, plus il continuait. Bientôt, il ne contrôlait plus rien, et un torrent déferla sous ses paupières. Il ne pouvait plus se retenir. Il ne voulait plus se retenir.

Il sentit tout à coup une main dans ses cheveux, frottant doucement son crâne. Cadus était là, accroupi à côté de lui. Il l’avait presque oublié, avec tout ça. Il avait presque oublié qu’il était là, à ses côtés. L’alchimiste lui sourit doucement, un sourire aussi calme que sa voix, puis se leva pour retourner à l’intérieur. Il n’y avait pas eu de mots. Il n’ en avait pas eu besoin. Lentement, les larmes s’arrêtèrent de couler. Le calme revint en lui. Il n’y avait rien qu’il ne puisse faire de plus, de toute façon. Il n’avait plus qu’à attendre, voir comment les choses allaient évoluer. Les gardes allaient les retrouver ces bandits. Et ses parents… C’est avec cette pensée, plutôt joyeuse, que le jeune garçon retourna à l’intérieur, et s’endormit sur son fauteuil.
Modifié en dernier par KidRanulf le 24 Jan 2017 20:31, modifié 1 fois.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur°

Messagepar Comme » 23 Jan 2017 14:37

Beaucoup de descriptions mais ce sont elles qui font la qualité d'un récit d'après moi. Le titre est admirablement bien choisi, mystères et tensions bien entretenus. J'ai hâte de lire la suite, quel beau travail que tu as accompli !
Petite remarque: attention à "sortir dehors" "entrer à l’intérieur" (que je me suis permis de modifier) ainsi qu' à l'utilisation trop souvent répétée de "visiblement". :pap:
***

La Grille est un moment terrible pour la sensibilité, la matière. Antonin Artaud

Liste de mes textes
Avatar de l’utilisateur
Comme
Modérateur
Modérateur
 
Messages: 3014
Enregistré le: 15 Aoû 2008 18:26
Localisation: Bxl
  • Site Internet
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur°

Messagepar KidRanulf » 23 Jan 2017 21:11

Merci pour ta réponse! Pour les "visiblement", je m'en suis rendu compte après coup, et j'ai réécris le chapitre en les enlevant quasiment tous, il faudra que je pense à mettre la version modifiée! La suite arrivera normalement d'ici peu, juste le temps que je la relise et que je change pas mal de choses là aussi, vu que je l'ai écris il y a quelques temps maintenant :)
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 24 Jan 2017 20:33

[Et voilà la suite! Comme vous avez pu le voir, j'ai rajouté la mention [Explicite] dans le titre du sujet car il y aura, dans l'avenir, des scènes assez violentes décrites, donc je ne voudrais pas choquer les plus jeune. Voilà!]

Chapitre 2: Départ

Le soleil n’était pas levé depuis une heure que, déjà, Cadus et Yzan étaient parés au départ. Il n’y avait qu’un seul cheval, mais la petite taille de l’adolescent permettait aisément de tenir à deux dessus. L’alchimiste, cape sur le dos pour palier à la fraîcheur matinale, portait, en plus de son sac habituel à la ceinture, une petite dague sur le côté gauche « car on ne sait jamais », comme il le disait.

« - Bien. On va se rendre au poste d’Urtah, dit-il à l’égard de son confrère. Nous serons normalement de retour pour la nuit. Ne fais pas de bêtises. »

Dauin lui sourit et acquiesça. Il installa le jeune garçon à l’arrière du cheval et, alors qu’ils s’éloignaient dans la brume des bois, leur fit de grands signes d’au-revoir.

Les rayons de l’aube perçaient timidement l’immensité des feuillages surplombant le chemin de terre, et se reflétaient dans la rosée matinale qui pendait des fleurs. Il n’y avait que le chant des oiseaux qui rompait le silence établi, en apportant une douce et calme mélodie. On pouvait apercevoir, se cachant du regard des deux voyageurs, de petits animaux, des écureuils ou des lapins principalement, cherchant de quoi manger pour la journée. Par endroit, des groupes de papillons butinaient de fleurs en fleurs, virevoltant au gré du léger vent qui passait à travers les branchages.

Au fur et à mesure de leur voyage, la brume initialement présente se dispersait, et les rayons du soleil se faisaient de plus en plus intenses, réchauffant la tiède atmosphère des bois. Le silence disparaissait aussi, petit à petit, remplacé par le bruit des animaux, par le bruit de la forêt se réveillant. Un léger ruisseau coulait le long du chemin, et l’on pouvait y voir diverses espèces s’y abreuver, détournant le regard lorsque le cheval passait, avant de replonger dans leurs activités. Par chance, en cette heure précoce de la journée, le garçon eut le bonheur de pouvoir observer, un peu plus loin, une famille de chevreuils, et il lui eut semblé qu’au milieu dansait une sorte de luciole, semblable à une des fées qui composaient ses histoires d’enfant.

Pas un seul des deux voyageurs ne parlait. De temps à autre seulement, le scientifique regardait derrière lui pour vérifier que son compagnon de route se portait bien. Il lui souriait légèrement et reprenait la conduite de son cheval, au pas. Tout était calme. Tout était tranquille. Il n’y avait personne d’autre qu’eux au milieu de la faune et la flore locale. C’était l’une des ambiances les plus sereines qu’il n’avait jamais connu.

La matinée était déjà bien entamée quand ils quittèrent les bois pour finalement arriver dans les grandes plaines proches du village. Contrairement à l’avant-veille, l’endroit était beaucoup plus calme. Il n’y avait pas toutes ces caravanes sur les routes, tous les voyageurs venant faire leur marché. C’était tout au plus s’ils croisaient par moment une ou deux autres personnes. On pouvait y voir de grands troupeaux de chevaux, visiblement sauvages, galopant dans l’herbe, passant parfois à côté de gros mammifères, des sortes de vaches avec quelques centaines de kilos en plus, et bien plus de poils aussi.

Ils arrivèrent à Urtah où, même si l’ambiance n’était pas aussi intense que lors du marché, un petit nombre de personne se baladait dans les rues, discutant çà et là, saluant les deux voyageurs qui attachaient leur unique cheval près d’une auberge, la même que celle où l’alchimiste l’avait déjà mis deux jours auparavant. Ils firent ensuite route à pied vers la place centrale, qui paraissait bien vide, pour se retrouver devant un grand bâtiment, probablement deux fois plus grands que les maisons, sur lequel était inscrit « Poste de garde ».

L’adolescent regardait ce bâtiment, bien plus haut que lui, avec une pointe d’admiration et de terreur. Il n’avait jamais été habitué à voir quelque chose de cette importance, là d’où il venait, et tout lui paraissait inutilement démesuré. D’autant plus qu’il n’y avait aucune décoration, et que la peinture semblait tomber par endroit. Seules quelques fenêtres venaient donner une légère touche esthétique à l’ensemble. Sa contemplation fut vite interrompue lorsqu’il entendit le grincement des portes en bois, alors que son compagnon les ouvrait et pénétrait à l’intérieur de la bâtisse.

L’intérieur était à l’image de la façade : gigantesque, mais un peu vide. Deux énormes escaliers en bois doré, un de chaque côté de la pièce d’entrée, donnaient sur les étages supérieurs. Entre les deux, au rez-de-chaussée, un grand bureau était posé. Derrière se tenaient trois personnes – une femme et deux hommes – assises sur leurs sièges, occupés à remplir des papiers. Une grande porte prenait place derrière eux, mais elle semblait ne pas avoir été ouverte depuis longtemps. A part ça, deux ou trois plantes ornaient la pièce, mais on ne peut pas dire que c’était vraiment rempli.

« - Excusez-moi de vous déranger… Dit Cadus en s’approchant d’un des deux hommes. »

Le garde, car c’en était vraisemblablement un étant donné sa tenue, leva la tête quelques secondes, observa de haut en bas les deux personnes se tenant devant lui, et replongea dans ses papiers.

« - C’t’à quel sujet ? demanda-t-il avec un fort accent.
- Une attaque de bandit, se contenta de répondre l’alchimiste. Je souhaiterais voir un de vos officiers.
- 1er étage, 2ème porte à droite. Frappez, attendez qu’on vous dise d’entrer, dit-il en montrant l’escalier à sa droite. »

Le jeune homme le remercia, ce à quoi l’autre répondit par un bougonnement signifiant probablement « De rien », et prit le chemin indiqué, accompagné du jeune garçon. Ils arrivèrent devant une porte rouge portant un petit écriteau avec noté « Caporale L. Reus ». Il frappa une première fois, et attendit quelques instants. Aucune réponse. Il frappa de nouveau, plus fortement. Toujours rien. Il frappa donc une troisième fois, de toute la force de son poing.

« - Ouais bah c’est bon, rentrez au bout d’un moment ! Cria une voix féminine de l’autre côté du mur »

Un peu décontenancé par cette invitation quelque peu violente à rentrer, Cadus ouvrit néanmoins la porte, suivi d’Yzan. C’était une petite pièce, avec une unique fenêtre au fond, dans laquelle tenait à peine un bureau rempli de papiers et de dossiers en tout genre, avec deux chaises devant. Derrière, assise sur une chaise, se tenait une femme, d’une quarantaine d’année, en tenue de soldat. Elle avait de longs cheveux blonds tombant au milieu de dos, un visage sévère et de grands yeux gris qui semblaient vous observer depuis un autre univers. Elle avait bien trois fois plus de muscles que les deux jeunes hommes réunis, ce qui n’était certes pas très difficile. En les voyant entrer dans la pièce, elle leur fit signe de la main de s’asseoir, ce qu’ils firent, et continua de remplir quelques papiers.

« - Bon, vous comptez parler ou vous êtes muets ? demanda-t-elle devant le silence de ses interlocuteurs, le regard toujours plongé dans ses feuilles.
- Hum, oui, excusez-moi, essaya de se reprendre l’alchimiste. Nous sommes venus vous voir suite à ce que nous pensons être une attaque de bandits… Yzan, explique-lui ce qui t’est arrivé. »

Le jeune garçon regarda, visiblement apeuré, son compagnon, puis commença à raconter son histoire, bégayant un peu au début, et semblant de plus en plus sûr de lui au fur et à mesure, laissant paraître une pointe de colère et de tristesse à la fin. Lorsqu’il eût fini, la caporale sortit son regard de ses papiers et observa longuement les deux individus, les dévisageant entièrement.

« - Vous n’êtes pas les premiers, leur dit-elle, le ton toujours assez sec. Le Centre nous a transmis plusieurs informations similaires. Pas mal de villages de l’Ouest ont été la cible d’attaques dernièrement. Probablement par des bandits bien organisés. On pense qu’ils viendraient d’Aernast.
- Et que pensez-vous pouvoir faire face à ces attaques ? demanda Cadus.
-Remplir le dossier et le transmettre, lui répondit-elle en montrant la pile de papiers entreposée sur son bureau. C’est pas notre région, c’est pas notre boulot. Les autres s’en chargeront.
- Vous n’êtes pas sérieuse ? »

Cette question, rhétorique bien évidemment, ne provenait non pas de l’alchimiste mais de l’adolescent assis à ses côtés. Il venait de la crier, spontanément. Il fixait, les sourcils froncés, la caporale devant lui. Dans son regard, on eut dit qu’il était capable de lui sauter dessus, s’il avait eu la moindre chance contre elle. Et malgré le regard sévère qu’elle lui jetait en retour, il tenait bon, et ne se détournait pas. Il la regardait dans le fond des yeux, et c’était comme une bataille qu’ils se livraient intérieurement.

« - Je n’ai aucune nouvelle de mes parents… Aucune nouvelle de ma grande sœur… Et vous nous dites que vous allez juste « transmettre le dossier et attendre » ? Que ce n’est « pas votre boulot » ? Est-ce que vous… »

Cadus le stoppa net, mettant sa main devant lui pour qu’il n’en dise pas plus. Yzan le regarda avec de grands yeux, surpris qu’il ne prenne pas sa défense, avant de se retourner vers la dame, et de remarquer qu’elle était presque sur le point d’exploser tellement elle était rouge de colère. Elle inspira profondément, comme pour se retenir de faire quelque chose qu’elle pourrait regretter et, d’un geste brusque de la main, leur indiqua la porte.

« - Bien, je vais transmettre votre dossier. Maintenant partez, j’ai du boulot. »

Sans ajouter un mot, et de peur qu’elle n’arrive pas à se retenir plus longtemps, les deux hommes sortirent de la pièce, descendirent les grands escaliers et quittèrent le bâtiment. Le ciel s’était un peu voilé depuis leur arrivée ici, mais le soleil continuait de faire resplendir ses rayons sur le village. Sans se dire quoi que ce soit, ils reprirent le chemin de l’auberge où ils avaient laissé leur cheval.

« - Pourquoi tu n’as rien dit ? »

Le ton était sec, les mots tranchants, le regard plein de reproches. Cadus ne le regardait que du coin de l’œil, mais il sentait la colère montante du garçon. Il savait qu’à ce moment précis il l’avait déçu, en ne disant rien, en ne prenant pas sa défense. Il savait qu’il espérait que venir ici règlerait tous ses problèmes, qu’en sortant il aurait l’espoir de revoir rapidement les siens. Mais il n’en était rien. Il n’en était rien, et la déception que lui procurait cette pensée, couplée à la non-réaction de celui qui avait dit qu’il l’aiderait, avait éveillé en lui une profonde colère.

« - Je ne pouvais rien dire, répondit calmement le scientifique. C’est comme ça que fonctionne notre société. S’énerver n’aurait rien changé. »

Tout en parlant, il détachait son cheval et, prenant Yzan sous les aisselles, l’installa dessus, avant d’y monter à son tour. L’adolescent n’avait pas réagi, se laissant faire. On sentait qu’il était perdu dans ses pensées, partagé entre la réflexion et la colère brute.

« - C’est totalement idiot… marmonna-t-il doucement. A quoi ils servent, vos gardes, s’ils ne viennent pas aider les gens ?
- Les choses ne sont pas aussi simples que ce que tu penses. Il y a tout un tas de procédure. C’est normal si on veut garder de l’ordre dans l’Empire. On ne peut rien y faire, il faut se contenter d’attendre calmement.
- Et c’est quoi cet ordre, si on laisse des villages se faire incendier par des bandits sans réagir ?
- Ne simplifie pas tout. Il faut d’abord savoir si…
- Mais arrête ! »

La puissance du cri surprit l’alchimiste qui, alors qu’il s’apprêtait à monter sur son cheval, s’arrêta net dans son mouvement. La colère première avait laissé place à une autre forme de désespoir : la tristesse. Ses yeux s’embrumaient, et il sentait qu’il ne pourrait pas se retenir longtemps. Il le savait. Il savait qu’il avait raison, qu’ils ne pourraient rien faire de plus, qu’il fallait attendre. Mais il ne pouvait pas s’y résoudre. Il ne pouvait pas se dire que tout était fini, ou presque, et qu’il n’avait plus qu’à attendre tranquillement sans bouger. Il sentait les larmes monter, de plus en plus intensément. Il allait de nouveau craquer.

Il sentit alors une chaude étreinte sur tout son corps. L’alchimiste venait de le prendre dans ses bras et, doucement, lui frottait l’arrière de la tête, comme à un enfant –car c’en était encore un –. Il se sentait soudainement plus calme. Ses larmes semblaient repartir de là où elle venait, sa colère semblait peu à peu se dissiper. Il avait eu besoin d’extérioriser ce qu’il ressentait. Il avait maintenant besoin de calme.

« - Bien… Il faut que nous rentrions maintenant. »

Sur ses mots, Cadus desserra ses bras, regardant avec un large sourire le jeune garçon qui se tenait devant lui. Il lui frotta une dernière fois le haut du crâne, le décoiffant un peu au passage, et monta à son tour sur le cheval, reprenant le chemin de sa demeure.

Le soleil descendait dans le ciel, au fur et à mesure qu’ils parcouraient leur chemin, à tel point que, une fois arrivés à la lisière des bois, ils n’étaient plus éclairés que par les lueurs orangées de l’astre qui se couchait. La nuit, tout prend une proportion différente. La forêt, qui paraissait si calme et si reposante le matin, avait un petit côté angoissant. Les bruits d’animaux, les ombres qui passaient de chaque côté, les feuilles qui volent au vent, tout semblait entraîner avec lui la peur. La lune était cachée par les nuages, et n’éclairait de fait que très peu la nature environnante, accentuant cet aspect un peu terrifiant. Il semblait au jeune garçon qu’autour de lui, des bestioles, des ombres, des esprits dansaient en rigolant, se moquant de l’anxiété qui l’habitait. Il se serra un peu plus contre son « conducteur », et ferma lentement les yeux, pour oublier ce qui l’entourait.

Il fut réveillé alors que le cheval venait brusquement de s’arrêter. Pensant être arrivé, il ouvrit les yeux, avant de se rendre compte qu’il était toujours dans les bois. Mais plus rien ne semblait bouger. Il sentait à peine le vent qui le frôlait. Il n’y avait plus de bruit d’animaux. Plus de bruit de marche. Encore un peu dans la brume, il tira la manche de son compagnon, mais celui-ci ne réagit pas. Surpris par cette absence de réaction, il ne dit cependant rien. Il lui semblait que lui aussi ne bougeait plus, mais son regard était sévère, figé dans une direction précise. Il regarda lui aussi –il devait y avoir quelque chose –, et aperçut une épaisse fumée qui montait vers le ciel. Et, soudainement, c’est comme si tous ses sens revenaient. Il se mit à sentir de la chaleur, anormale à ce moment de la journée, et entendit au loin des cris d’hommes et de femmes. Il ouvrit de grands yeux. C’est comme si tout recommençait.

Le cheval se mit soudainement au galop, entraîné par un élan de son cavalier. Il n’y avait pas de temps à perdre. Cauds savait ce qui se passait. Il voyait d’où venait la fumée. Ce n’était pas le village de Datre qui brûlait. Non. C’était sa maison. C’était sa demeure. Là où devait être Dauin.

Ils arrivèrent finalement sur la scène du drame. Et il ne s’était pas trompé. Sa maison, son laboratoire, là où il vivait, là où il menait ses expériences, tout était en feu. De gigantesques flammes s’élevaient même au-dessus des arbres, et une épaisse fumée noire s’étendait partout autour, emportée par le vent. Il y avait là des dizaines de personnes, venant probablement du village voisin, qui formaient des chaines humaines, portant des seaux d’eau qu’ils remplissaient dans le puits voisin, ou bien qu’ils avaient ramené via une charrette qui était aussi présente. Ils criaient tous, donnant des ordres, s’encourageant mutuellement à aller plus vite. Mais, partout où il regardait, il ne le voyait nulle part. Son collègue n’était pas là. Il n’était pas à aider pour éteindre les flammes. Où était-il alors ? A l’intérieur ?

Cette pensée en tête, il sauta de son cheval, et courut vers la porte d’entrée de la maison, elle aussi en proie aux flammes. Il fut stoppé net par deux hommes qui, l’ayant vu s’élancer, avaient pris la décision de l’arrêter avant qu’un malheur n’arrive. Il donna un coup pour tenter de sortir de leur étreinte. Puis un autre. Il criait. Il criait mais il lui semblait que personne ne l’entendait, et qu’il n’entendait personne. Il ne voyait plus que les flammes, il n’entendait plus que le crépitement du bois en train de brûler, avec toutes ses recherches à l’intérieur. Il lui semblait apercevoir à l’intérieur quelqu’un, et il se mit à crier encore plus fort, se débattant de plus belle. Mais il ne pouvait pas bouger. Il était incapable de faire un pas. Incapable de faire quoi que ce soit. Il était impuissant face à cette danse incandescente qui prenait place devant lui. Et puis, soudainement, plus rien.

Cadus ne reprit connaissance que lorsque le soleil était déjà levé. L’esprit embrouillé, il se sentait comme s’il venait de se réveiller après une longue nuit pleine de cauchemars. Il ouvrit lentement les yeux, sa tête lui faisant encore terriblement mal.

« - Vous allez mieux ? »

Il avait déjà entendu cette voix. Une voix de jeune femme. Que s’était-il passé ? Où était-il déjà ? Cette voix, il s’en souvenait. C’était celle de cette femme. Celle qui avait emmené le jeune garçon évanoui chez lui. Et après, il l’avait soigné. Oui, c’est vrai. Il était allé avec lui à Urtah, pour voir les gardes. Et puis ils étaient revenus. Et puis…

D’un coup sec, il releva le torse et ouvrit de grands yeux. Sa maison, il se souvenait maintenant. Le feu, le bruit, la fumée… Il regarda autour de lui. Il était assis dans l’herbe. Le soleil, pas bien haut, ne devait pas être levé depuis une heure. Çà et là, il y avait des gens qui semblaient ramasser des objets qui traînaient par terre, plus ou moins calcinées, d’autres qui rangeaient tout un tas de seaux dans une carriole. Et puis, il y avait sa maison. Ou plutôt, ce qu’il en restait, autrement dit plus grand-chose. Il y avait encore quelques restes de piliers, un petit bout de mur par endroit, mais tout le reste n’était que cendres. Tout ce qu’il avait entrepris, depuis des années, était réduit en poussière.

« - Comment allez-vous ? »

Il regarda la jeune femme qui venait de lui poser la question, puis détourna rapidement son regard, continuant d’observer partout autour de lui. Il lui manquait toujours quelque chose. Il ne l’avait toujours pas vu. Où était-il ?

« - Où est Dauin ? demanda-t-il, en continuant de regarder autour.
- Nous ne l’avons pas vu… Il n’était pas avec nous… Et il n’y a aucune trace de qui que ce soit qui serait resté à l’intérieur. »

Il plongea son regard dans celui de la femme. Il n’était pas dehors avec eux ? Il n’était pas à l’intérieur non plus ? C’était impensable. Il n’aurait jamais quitté la maison comme ça, en laissant quelque chose susceptible de l’enflammer. Ou, dans tous les cas, il serait revenu en voyant la fumée. Il n’aurait pas tout laissé en plan pour partir, ce n’était pas dans ses habitudes. Quelque chose ne tournait pas rond.

« - Alors, ça va mieux ? »

Une nouvelle voix venait d’arriver à ses oreilles. C’était celle de l’homme qui était aussi venu l’autre jour. Il se tenait face à lui, et Yzan était à ses côtés. C’est vrai, avec tout ça, il en avait presque oublié l’adolescent. Il avait les yeux rouges, comme s’il venait de pleurer. Cadus se releva lentement, encore un peu secoué par ce qu’il avait vu, hocha la tête en direction de l’homme et s’approcha de l’adolescent, passant sa main dans ses cheveux.

« - Que s’est-il passé ? demanda-t-il à l’attention des deux villageois.
- On ne sait pas trop, répondit l’homme. On a vu la fumée, et les flammes. Alors on s’est précipité pour venir éteindre. Mais on n’a rien vu de plus. On ne sait pas comment c’est arrivé. C’est une chance qui rien n’ait explosé. »

Une chance ? C’était surtout quelque chose de difficilement vraisemblable. Comment se fait-il qui rien n’ait explosé, alors qu’il y avait là suffisamment de substance pour ne laisser place qu’à un trou béant ? La seule hypothèse, se disait-il, c’était que tout ait été enlevé auparavant. Qu’on ait pris le maximum de substance explosive et qu’on les ait enlevé. Cela expliquerait-il l’absence de Dauin ? Aurait-il mis le feu volontairement à la maison ? Pour quelles raisons ? Ce n’était pas logique. Il manquait quelque chose.

« - Si vous voulez, on a rassemblé ce qu’on a pu récupérer dans le chariot là-bas. »

L’alchimiste regarda le chariot indiqué par le villageois. Il n’était pas très rempli, mais peut-être réussirait-il à trouver quelque chose qui pourrait l’aiguiller. Il s’en approcha, et commença à observer ce qui restait de l’incendie. Quelques livres un peu brûlés par endroit, mais encore lisibles. Ce n’était pas les meilleurs, ni ceux qui l’intéressaient, mais c’était toujours mieux que rien. Quelques fioles vides qui, par miracle, étaient restées intactes. C’était toujours du matériel en plus. Deux ou trois vêtements noircis, un peu de vaisselle, rien de très intéressant au final. Ou presque. Car, au milieu de tout ce bric-à-brac, il remarqua quelque chose qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il crut que c’était une sorte de badge en métal, mais il se rendit compte, au toucher, que ce n’était que du tissu. Probablement quelque chose d’accroché à un habit, et qui semblait avoir été arraché au vu des bords irréguliers. Il portait les inscriptions « TMI », en or sur un fond bleu foncé. Et, d’aussi loin qu’il s’en souvenait, il ne l’avait jamais vu chez lui auparavant.

« - Vous pouvez rester chez nous, si vous n’avez aucun endroit où aller. »

Cadus se retourna. La jeune femme se tenait devant lui, tenant par la main l’adolescent à ses côtés. Il la regarda de haut en bas, puis posa son regard sur le garçon. C’était probablement le mieux à faire pour lui. Il serait bien mieux dans le village, en attendant des nouvelles de ce qui a pu arriver à sa famille. Mais, pour sa part, il ne pouvait pas se le permettre. Il devait en savoir plus. Il devait retrouver son confrère. C’était son devoir.

« - Je vous remercie de votre proposition, dit-il de son éternel ton calme. Mais j’ai des choses à faire, je me vois donc dans l’obligation de refuser. Je vous demande juste de prendre soin d’Yzan, en attendant qu’il en sache plus sur ce qui lui est arrivé. »

Alors qu’elle s’apprêtait à répondre d’un geste de la tête, le jeune garçon lâcha sa main et se posta devant le scientifique, le regard sévère, bien qu’ayant les yeux encore un peu rouges.

« - Je viens avec toi, dit-il sèchement.
- Non, répondit l’alchimiste. Tout ceci ne te concerne pas. Tu vas rester ici, et attendre tranquillement.
- Ce n’était pas une question ! Pourquoi est-ce que je resterais ici et pas toi ? Qui va m’aider à retrouver ma famille, hein ? Tu y as pensé à ça ? »

La répartie naturelle et spontanée de l’adolescent décontenança un peu Cadus. Il voyait dans son regard la détermination. Il avait envie de venir, bien évidemment. Lui aussi il espérait en savoir plus sur ce qui était arrivé à son village. Après tout, en si peu de temps d’intervalle, ce n’était peut-être pas un hasard… Peut-être était-ce les mêmes personnes derrière tout ça. Mais rien ne pouvait le prouver. Et puis, il ne savait pas vraiment de quoi serait fait son voyage. Entraîner un jeune garçon comme ça, avec lui, c’était sûrement bien trop dangereux. Mais était-ce plus sûr de le laisser là, alors que sa maison venait juste d’être incendiée ? Qu’est-ce qui lui faisait dire que le village ne serait pas la prochaine cible ?

« - Très bien, concéda-t-il finalement. Mais si les choses se compliquent, tu me promets de m’écouter et d’aller en sécurité.
- Humf… Ouais ouais, d’accord, grommela-t-il. »

L’alchimiste lui sourit, et l’adolescent le lui rendit. C’était décidé, ils partiraient tous les deux, pour essayer d’en savoir plus sur ce qui c’était passé. Il n’y aurait peut-être rien, mais il valait mieux essayer, plutôt que de rester là à ne rien faire. Et puis, définitivement, il ne pouvait pas abandonner son collègue. S’il n’était pas là, c’est qu’il y avait une raison. Que ce soit lui qui ait mis le feu à la maison, qu’il se soit enfui ou qu’il ait subi cela, il lui fallait des explications.

Après avoir remercié tous les villageois venus pour aider, et leur avoir bien signalé qu’ils devaient surveiller les alentours dans les prochains jours au cas où ces individus revenaient, ce coup-ci pour s’en prendre au village, tous partirent, laissant seul Cadus et Yzan.

« - Alors, on va où ? demanda le garçon. On retourne voir les gardes pour qu’ils remplissent des papiers ? »

Le scientifique sourit en entendant cela. Il y avait pensé, bien évidemment. Retourner voir les gardes d’Urtah, leur expliquer la situation. Leur montrer ce qu’il avait trouvé. Et puis après, quoi ? Sauraient-ils seulement ce que c’est ? Feraient-ils vraiment quelque chose ? L’expérience de la veille, malgré qu’il n’en avait rien laissé paraître, lui avait laissé un goût assez amer. Et, au fond, il savait que le garçon avait raison. Que ce n’était pas normal que les choses se passent ainsi.

« - Non, répondit-il. On va aller voir quelqu’un qui pourra nous renseigner. Quelqu’un que je connais.
- Et on va où pour ça ?
- A Ezahol, au siège du Cercle du Savoir. Et autant dire que nous allons avoir un peu de chemin…
- Dans ce cas, ne traînons pas ! »

Tout sourire, avec un enthousiasme qui étonnait presque, l’adolescent courut vers le cheval, incitant Cadus à faire de même. Il allait partir un peu plus loin, il allait découvrir ce pays qu’il ne connaissait encore qu’au travers des montagnes il y a peu. Et puis, il arriverait peut-être lui aussi à savoir ce qui était arrivé à sa famille. Il en était intimement convaincu.

Après avoir rangé quelques affaires dans son sac, et avoir laissé les choses les plus inutiles ici, l’alchimiste rejoignit son nouveau compagnon de route, déjà installé sur le cheval. Il était moins optimiste que lui, et la perte de tout ce travail, notamment sur sa Fiole de Panacée, le touchait profondément. Mais ça le motivait, de le voir comme ça. Prêt à tout franchir. Certain de réussir. C’était son insouciance de jeunesse, que lui avait abandonné depuis longtemps. Il était peut-être temps de la retrouver aussi. Se morfondre ne l’aiderait pas.

Il fallait avancer.

Il fallait partir.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 28 Jan 2017 19:20

Chapitre 3 : Ezahol, la ville du savoir

Cela faisait maintenant près de cinq jours qu’ils étaient partis. Cinq jours depuis cet incendie qui avait presque entièrement consumé sa demeure. Cinq jours sur les routes, en direction de l’est, en direction d’Ezahol, où il espérait pouvoir en savoir plus sur ceux qui avaient fait cela. Jusqu’à présent, ils n’avaient emprunté que des petites routes, peu fréquentées, traversant les Grandes Plaines. Mais ils allaient bientôt rejoindre la route principale, ou plutôt la Route des Sages, comme elle s’appelait. Les routes venant des diverses grandes villes de l’Empire, et des autres, qui se rendaient à Ezahol convergeaient toutes vers cette grande voie. Autant dire qu’elle était extrêmement fréquentée, la ville accueillant des personnes arrivant des quatre coins du pays, venus en quête de savoir dans cette cité nichée au milieu des Collines d’Herlas.

Ils avaient pu traverser jusqu’à présent de nombreux petits villages, dormant dans des auberges la nuit, et en profitant pour faire des achats de première nécessité. Ils y avaient rencontré de nombreuses personnes, toutes plus aimables les unes que les autres, n’hésitant pas à les aider en cas de besoin. L’une d’entre elle, un vieux monsieur que Cadus avait aidé alors qu’il avait des problèmes de genou – ou quelque chose comme ça, c’était assez compliqué – leur avait offert une espèce de petit cheval, un poney en un peu plus gros, avec une magnifique robe noire, pour que Yzan puisse monter dessus. Les débuts avaient été assez difficiles, car il n’avait jamais eu par le passé l’occasion de chevaucher ce genre de bêtes. Mais rapidement il s’y était habitué, l’animal étant docile, et le voyage avait pris une toute autre allure pour lui.

Il galopait au milieu des immensités vertes, plus joyeux qu’il ne l’avait jamais été, passant au travers des troupeaux de ces énormes animaux qu’il avait vu la première fois qu’ils étaient allés à Urtah – des Brulfes, lui avait dit Cadus -. Des espèces de grosses vaches, bien plus grosses que celles qu’il avait pu observer dans les montagnes, faisant bien deux ou trois fois leur taille, et extrêmement poilues. Ces animaux étaient extrêmement gentils et très peu dérangés par les humains qui passaient à leurs côtés, ce qui amusait beaucoup le jeune garçon qui, bien qu’un peu apeuré au départ, avait fini par caresser tout ceux qu’il croisait. Il n’avait jamais eu l’habitude, par chez lui, de voir de telles bestioles ni de tels paysages, et ce voyage réveillait en lui une profonde envie de découvrir le monde qui l’entourait. Il n’y connaissait presque rien, mais il avait envie de tout savoir. De tout voir.

La nuit, cependant, commençait à tomber, et aucun village n’était en vue aux alentours, malgré le champ de vision lointain qu’offraient les plaines. Il faudrait probablement dormir à la belle étoile ce soir. Ils avaient bien fait, au final, d’acheter des couvertures et de quoi faire du feu la veille. Cadus connaissait la route, et il savait qu’il y aurait un moment où cela arriverait. Il arrêta son cheval, rapidement imité par l’adolescent, et observa quelques instants les alentours. L’endroit semblait très bien. Il y avait quelques rochers non loin, pour s’abriter ou se cacher en cas de besoin, quelques arbres, et rien d’inquiétant. Il y avait même quelques Brulfes un peu plus loin, et ces animaux étaient réputés pour leur flair aiguisé en cas de danger imminent. Il descendit donc de sa monture, qu’il emmena près des arbres pour l’attacher, et entreprit de créer un petit cercle en pierre pour faire du feu à l’intérieur.

« - On va dormir dehors ? demanda Yzan.
- Il semblerait que nous n’ayons pas le choix, à moins que tu ne voies un village caché aux alentours. »

Le garçon descendit de son cheval en soupirant. L’idée ne lui plaisait pas. Les derniers souvenirs qu’il avait de ses sommeils en plein air n’étaient pas des plus joyeux. Et puis, il y avait le froid. Ils avaient certes des couvertures, et possiblement un feu, mais tout de même. Ils n’étaient plus en plein été, et les nuits étaient de plus en plus fraîches. Trop fraîches pour lui, dans tous les cas, habitué qu’il était à la chaleur d’une demeure. Il aurait même préféré continuer à chevaucher toute la nuit ! Mais son cheval n’aurait peut-être pas apprécié, lui. Il fallait qu’il se repose aussi. Il l’attacha donc à côté de celui de son acolyte et lui caressa doucement la crinière. Il n’aurait pas pu espérer un meilleur cadeau.

Il observa l’alchimiste, qui tentait tant bien que mal de faire un feu, avec les moyens du bord. Au milieu de son cercle de pierre, il avait disposé des branches sèches, au sein desquelles il avait placé de petits cailloux noirs. C’était assez étrange de placer des rochers pour faire un feu, trouvait-il. Mais après tout, il n’y connaissait pas grand-chose, il n’en avait jamais fait. Ses parents l’allumaient à chaque fois pour lui. C’était plus facile, disaient-ils. Il continua d’observer comment le scientifique s’y prenait. Après avoir tout bien agencé, il prit deux roches, une orangée et une plutôt brune, et commença à les frotter entre elles, au-dessus du tout. Que faisait-il ? Il espérait vraiment que ça marcherait ?

« - Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-il.
- Eh bien, pour faire le feu, répondit tranquillement Cadus. Le frottement des minéraux contenus dans les deux roches va créer des étincelles qui, au contact du bois, vont créer un feu. Les petites pierres noires vont lui permettre de grandir plus vite, ce sont des catalyseurs. Après, si tu as une meilleure technique…
- Je suis pas sûr d’avoir tout compris… Mais mon papa m’a toujours dis que le plus simple, c’était la magie. »

Son mouvement s’arrêta net, quand il entendit ce mot. La magie ? Pourquoi lui parlait-il de cela ? Il reprit son activité, regardant du coin de l’œil le jeune garçon. Bien sûr, il savait que parmi les disciples du Culte de Fae’orn, il était assez courant de rencontrer des gens capables d’utiliser la magie. Ce qui expliquait leur faible présence à Irmald, cette faction étant minoritaire dans l’Empire. Et, habituellement, ceux qui savaient manier cet art en-dehors du Culte étaient des personnes très haut placées. Cette habilité innée à manier les arcanes était gage d’un haut rang social, en temps normal. Autant dire que s’il avait su l’utiliser, il ne serait pas resté dans sa maison au milieu des bois. Et puis, ça restait quelque chose d’assez mystérieux. De nombreux scientifiques, dont lui, s’étaient penchés sur la question, sans apporter de réponses totalement satisfaisantes.

« - Tu sais manier la magie ? Demanda Cadus, en se relevant après avoir allumé le feu.
- Non, dit-il en hochant la tête pour illustrer sa réponse. Mais mon papa peut. Et ma sœur aussi. Ils disent qu’il me faut encore un peu de temps, et qu’il faut que je m’entraîne. Mais c’est pas facile. »

Au fur et à mesure qu’il répondait, son regard se perdait un peu plus dans le vide. Reparler de cela, c’était se souvenir de toute son enfance, de son village, de sa famille. Il avait pu l’oublier, l’espace du trajet, enivré par ce vent de liberté qui l’entraînait sur les plaines. Et le simple fait d’évoquer la magie l’avait fait replonger. Il s’assit à terre, tranquillement, et observa les étoiles qui apparaissaient alors que le soleil avait presque entièrement disparu. Où étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Allaient-ils bien ? Tant de questions…

C’est au début de l’après-midi, le lendemain, que, finalement, ils rejoignirent la Route des Sages. Et autant dire que la situation était clairement différente de celle des cinq derniers jours. Il y avait là de nombreux voyageurs, à pied, à cheval ou en charrette, qui prenaient la direction d’Ezahol. Il y avait une espèce de brouhaha ambiant, un bruit de fond constant qui tranchait avec le calme qu’ils avaient jusque-là connu. C’était même quelque chose d’assez fatiguant à la longue, et il arrivait à l’adolescent de se boucher les oreilles, tellement cela lui était insupportable, lui qui était habitué à la quiétude des montagnes.

Il observait autour de lui les différents voyageurs, et on pouvait dire que les profils étaient variés. Il y avait là des marchands avec d’amusants habits colorés, peut-être trop colorés d’ailleurs, dont les chevaux portaient des sacs remplis à ras bord de marchandises. On trouvait aussi beaucoup d’érudits, emmenant des échantillons ou des livres qu’ils avaient trouvés lors de leurs voyages, et qui semblaient tous avoir fait la découverte du siècle. Et puis il y avait tous les autres : les familles, les jeunes en voyage, les mercenaires cherchant du travail, les gardes surveillant les voyageurs… Il y avait là plus de profils de personnes qu’Yzan n’en avait jamais vues dans sa vie, et il regardait avec de grands yeux chaque personne présentant quelque chose d’inconnu pour lui.

Cette route avait l’avantage, au-delà d’être très fréquentée et donc sûre, de passer par un bon nombre de villages qui s’étaient fait la spécialité d’accueillir les personnes passant par ici, en plus des multiples auberges solitaires présentes au cours du trajet et souvent bondées. C’était un moyen sûr de gagner sa vie, et cela arrangeait bien tout le monde, car il n’y avait pas besoin de dormir en plein air. Autant dire que c’était une aubaine pour le jeune homme, qui détestait cela.

Ils parcoururent ainsi cette route durant un peu plus de deux jours. Le paysage, autour d’eux, commençait petit à petit à changer. Les plaines se transformaient en petites collines, qui devenaient de plus en plus grosse à mesure qu’ils s’approchaient de la cité. Les fleurs, les arbres, les animaux n’étaient plus les mêmes non plus. Les Brulfes n’étaient presque plus là – au grand désarroi de l’adolescent -, mais on trouvait bien plus de troupeaux de chevaux, ainsi que quelques vaches, moutons et autre bétail, en liberté ou en élevage. Les arbres se faisaient un peu plus présents, accueillant une population d’oiseaux plus importante également. Les fleurs des Grandes Plaines, abondantes et très développées, laissaient place à une flore plus discrète, bien que tout aussi jolie.

Et puis, finalement, du haut d’une colline, ils l’aperçurent en contrebas. Ezahol, la ville du savoir, comme on l’appelait. En la voyant, Yzan ouvrit de grands yeux, à tel point qu’on eut dit qu’ils sortaient de leurs orbites. C’était la plus impressionnante cité qu’il n’avait jamais vu. Posée là, dans une sorte de vallée au milieu des collines, traversée par un fleuve, on ne voyait qu’elle. De grandes murailles au teint un peu brunâtres l’entouraient, et l’on voyait aux différentes portes, accueillant toutes une route, un afflux effroyable de voyageurs. On pouvait apercevoir à l’intérieur de la ville les très nombreux bâtiments, visiblement très bien organisés, qui encerclaient un monument central, le long du fleuve, encore plus imposant que tout le reste. C’était une immense tour d’un blanc resplendissant qui s’élevait vers le ciel, à tel point que les bâtiments des gardes d’Urtah paraissait être ridicule à côté pour l’adolescent. Autour, quatre tours plus petites – mais tant qu’assez grandes – étaient parfaitement positionnées à chacun des points cardinaux, elles aussi d’un blanc parfait. Tous les bâtiments autour semblaient ridiculement petits, alors qu’ils devaient déjà, pour la plupart, être assez imposants en réalité.

« - Et voilà Ezahol, dit Cadus en arrêtant son cheval quelques instants. La grande tour au milieu, c’est le siège du Cercle du Savoir. C’est là que l’on va se rendre. Il y a l’air d’avoir du monde, alors ne traînons pas. »

Sans attendre de réponse de son acolyte, il se remit en route en direction de la cité. Encore un peu abasourdi par ce qu’il venait de voir, Yzan mit quelques secondes à réagir, avant de se rendre compte qu’il était effectivement temps d’y aller si il ne voulait pas perdre de vue l’alchimiste. Ils arrivèrent ainsi tous deux à la porte Ouest de la ville et, une fois passé le contrôle de routine, purent pénétrer à l’intérieur.

Tout paraissait encore plus impressionnant vu de dedans. Il y avait une foule incroyable qui se pressait dans les rues, prenant des carrioles qui pouvait les emmener n’importe où dans la ville, se bousculant à l’entrée des magasins – ils étaient arrivés par le quartier marchand, d’après Cadus -. Et en termes de boutiques, il n’y avait que l’embarras du choix. Forgerons, tailleurs, épiciers, fleuristes, apothicaires, libraires… Leurs énormes échoppes se succédaient de manière très bien organisée (les forgerons plus vers l’entrée, les libraires plus vers le centre), permettant ainsi à chacun de s’orienter aisément. Il y avait là aussi un bruit d’enfer, chacun criant pour attirer les clients, eux-mêmes se disputant parfois entre eux pour l’achat d’un article soi-disant « introuvable ailleurs ».

L’alchimiste et son compagnon de voyage laissèrent leurs chevaux dans une étable comme il y en avait de nombreuses près des entrées, pour éviter qu’il n’y ait trop de montures en ville et favoriser le trajet des carrioles. Ils en prirent d’ailleurs une et, après que Cadus lui ait indiqué leur destination, ils se mirent en route vers le centre de la cité, cette énorme tour surplombant le reste. Après près de 30 minutes de trajet, leur véhicule les déposa finalement au début d’un grand pont traversant le fleuve, qui donnait directement sur l’entrée du bâtiment, entouré de nombreux gardes.

Vu d’en-dessous, l’édifice semblait encore plus monstrueux. Rien qu’à le regarder, Yzan avait déjà le vertige. Le soleil se reflétait dans le blanc immaculé de la structure, éblouissant ceux qui la regardaient trop longtemps. Il y avait de nombreuses fenêtres un peu partout sur la hauteur, et il se demandait bien comment on pouvait arriver au sommet sans se fatiguer. Ils s’approchèrent tous deux de l’entrée, une immense porte en bois avec des gravures dorées qu’il ne comprenait pas, qui, bien qu’ouverte, voyait son accès très fortement restreint par les gardes présents. Ceux-ci, en voyant arriver les deux compagnons, leur demandèrent sèchement un justificatif pour pouvoir rentrer, ce à quoi l’alchimiste répondit en montrant l’amulette qu’il portait autour du cou – un rond avec deux triangles inversés à l’intérieur -, ce qui sembla les satisfaire vu qu’ils les laissèrent passer.

L’intérieur du bâtiment, ce qu’il en voyait pour l’instant tout du moins, ressemblait en fait plus à une espèce d’énorme bibliothèque qu’autre chose, si on fait abstraction des deux jeunes femmes s’occupant de l’accueil. Il y avait partout des étagères énormes remplies de bouquins tous plus gros les uns que les autres ainsi que de grandes tables autour desquelles lisaient ou discutaient des hommes et des femmes – des scientifiques aussi probablement -. Des gardes vadrouillaient dans tous les coins, surveillant qu’il n’y ait pas de débordements.

« - Ce sont tous des alchimistes, eux aussi ? Demanda le garçon.
- Absolument pas, répondit Cadus. Une partie d’entre eux l’est, mais ce n’est qu’un des corps de métier qui constituent le Cercle. Il y a aussi des ingénieurs, des mathématiciens, des philosophes et j’en passe.
- Ca fait beaucoup de monde…
- Assurément. Allez, suis-moi, ne traînons pas. Je n’aime pas trop être ici. »

Sur ces mots, il accéléra subitement le pas, à tel point qu’il faillit distancer l’adolescent. Il réussit néanmoins à le suivre jusque dans une espèce de grosse boîte dans laquelle ils rentrèrent. Le scientifique referma les portes derrière eux, et s’approcha d’une espèce de tuyau.

« - 5ème étage, s’il vous plaît. »

Presque aussitôt, et sous le regard ébahi du jeune homme, la « boîte » se mit à bouger et semblait prendre de la hauteur, comme si elle grimpait dans la tour.

« - Ouaaaah ! Mais c’est quoi ce truc ! S’écria-t-il.
- C’est pour pouvoir monter et descendre plus facilement, répondit calmement son acolyte visiblement habitué. C’est un système de poulie. Il y a des gens en bas qui, par la force de leur bras, permettent à la boîte de monter ou descendre. Une fois arrivé au bon étage, ils bloquent tout, et le tour est joué. C’est une invention du Cercle. »

L’explication était loin d’être claire pour Yzan, mais le simple fait de savoir qu’ils avaient pu inventer un appareil aussi extraordinaire suffisait à le mettre en joie. Il n’eût néanmoins que peu de temps pour en profiter car assez rapidement, l’appareil se stoppa. Cadus ouvrit les portes, et ils se retrouvèrent tous deux en face dans une petite pièce qui donnait sur un large corridor.
A partir de là, c’était un véritable labyrinthe pour le disciple de Fae’orn, malgré la présence par endroit de panneaux accrochés au mur. Du grand corridor principal partait de nombreux petits couloirs, et il y avait des portes un peu partout, la plupart étant fermées mais les quelques-unes ouvertes permettant de voir, au choix, des laboratoires, d’autres bibliothèques, des salles où on travaillait en dessinant et bien d’autres. Il se contentait de suivre son guide, qui connaissait les lieux probablement par cœur. Après deux ou trois bonnes minutes de marche, il s’arrêta finalement devant une porte, semblable à toutes les autres portes et, après avoir pris une profonde inspiration, signala sa présence en tapant dessus.

« - J’ai dit de pas me déranger ! »

C’était une voix grave, un peu rocailleuse, qui venait de littéralement hurler cela au travers de la porte. Un peu apeuré, le garçon tira la manche de l’alchimiste, lui montrant le chemin pour s’en aller. Mais celui-ci, décidé à affronter la chose qui venait de crier, et après une autre inspiration, ouvrit la porte.

« - Mais qu’est-ce que vous comprenez pas dans… »

L’homme, dans les âges de Cadus mais qui faisait bien deux têtes ainsi que soixante bons kilos de plus que lui se retourna vers l’ouverture en commençant à crier et, remarquant le scientifique, s’arrêta net. Il passa sa main sur son crâne rasé puis dans son bouc – qui ne lui allait d’ailleurs pas du tout – puis, pris d’un soudain élan assez inexplicable, accourut vers le scientifique et le serra si fort qu’on eût dit que celui-ci allait étouffer.

« - Par les éléments Cadus, bordel ! Tu pourrais dire que c’est toi, tu sais bien que je déteste être dérangé quand je bosse! »

Se desserrant de l’étreinte du colosse, et après avoir toussé un peu pour s’assurer qu’il pouvait encore respirer, l’alchimiste remit en place sa cape qui, dans l’affaire, s’était mise n’importe comment.

« - Excuse-moi Kosrin, j’en oublie les règles de politesse, dit-il tranquillement. Mais ma visite n’est prévue que depuis quelques jours, donc je n’ai pas pris le temps, j’espère que tu comprendras.
- Ouais t’en fais pas, c’est jamais simple d’avoir sa demeure qui flambe hein !
- Ma demeure qui… Eh bien, je vois que les nouvelles vont vites par ici, répondit Cadus avec une pointe de surprise dans la voix.
- Plus que toi et le gosse visiblement, dit le colosse en regardant Yzan, caché derrière. Allez, viens donc me raconter tout ça en détails ! »

Passant son bras autour du cou, il entraîna l’alchimiste avec lui jusqu’à son bureau, laissant derrière le jeune garçon, qui en profita pour regarder un peu la pièce qui l’entourait. C’était un assez grand laboratoire, avec une fenêtre donnant sur toute une partie de la ville – la partie Ouest à première vue, car il reconnaissait les bâtiments -. Il y avait quelques bibliothèques, un peu comme chez Cadus et Dauin, et deux grands alambics dont le feu était allumé. En plus du bureau central vers lequel ils venaient de partir, il y avait aussi deux autres petits bureaux sur lesquels on trouvait de nombreux ustensiles et des ingrédients aussi étranges que variés. Sur les murs, quelques feuilles étaient accrochées, avec dessus des schémas et des formules qui lui semblaient bien trop compliqués pour qu’il puisse espérer en comprendre n’en serait-ce que le dixième.

« - Je voulais te montrer ça. »

D’un geste de la main, il donna le badge en tissu, sur lequel était inscrit « TMI », au géant installé de l’autre côté du bureau. Celui-ci le prit et l’observa longuement, le faisait passer entre ses mains, à travers ses impressionnants doigts, fronçant un peu plus les sourcils au fur et à mesure.

« - Où est-ce que tu as trouvé cela ? demanda-t-il, le ton plus sévère qu’avant.
- Dans les restes de ma maison. Assez étonnamment, ça n’avait pas brûlé. On dirait qu’il a été arraché, tu ne trouves pas ?
- Effectivement… Il semblerait que l’on se soit battu chez toi. »

Dauin. A part lui, qui d’autre dans cette maison aurait bien pu se battre avec un inconnu ? Les choses devenaient un peu plus claires. Il aurait voulu se défendre, et ils l’auraient embarqué. C’était probablement comme cela que tout s’était déroulé. Mais il restait un point à élucider. Qui était ce « ils » ?

« - Et les lettres, ça te dit quelque chose ?
- Evidemment, pour qui me prends-tu ? Il s’agit de « Thonan, Maslas & Irlin ». Ce sont de grands fabricants de vêtements, très chics. Ils ont une très importante industrie à Duban-Lean, dans le sud du pays. Mais je doute que ça se porte beaucoup par chez toi, rajouta-t-il en souriant.
- Et donc ?
- Et donc, si ça appartient à tes bandits, ça veut dire qu’ils ont du pognon pour se payer ce genre de fringues, voilà tout. »

Des bandits de grands chemins avec autant d’argent ? C’était du jamais vu. Et c’était surtout un peu stupide de leur part. Quel était l’intérêt, pour ce type de personne, de porter un habit chic lors d’un vol ou d’une attaque ? Ça ne devait absolument pas être confortable pour se battre. Ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi l’insigne avait été arrachée. Alors qu’il commençait à se perdre dans ses pensées, il remarqua Kosrin qui se penchait vers lui.

« - Et si tu veux mon avis, ce n’est pas pour ta Fiole de Panacée qu’ils ont fait ça, murmura-t-il en regardant Yzan, toujours occupé à contempler la pièce. »

Bien sûr, il y avait pensé depuis le début. La proximité temporelle entre l’incendie et l’accueil d’Yzan était douteuse. Si, au départ, il n’y voyait pas de raison valable, il avait commencé à y réfléchir plus sérieusement depuis qu’il avait évoqué la magie. Il ne pouvait pas affirmer que tout était lié, bien évidemment, mais il sentait qu’il y avait quelque chose, quelque chose qui lui échappait, mais qui unissait tout cela. Et il savait maintenant où était la réponse.

« - Tu comptes faire quoi, maintenant ?
- Je pense que je vais aller rendre visite à ces industriels, répondit Cadus avec un léger rictus. Je doute qu’ils connaissent chacun de leurs acheteurs, mais c’est ma seule piste.
- C’est risqué, tu sais. Tu ne devrais pas y aller seul. Surtout que tu mets le gamin en danger.
- Si ces bandits en ont après lui, il sera en danger partout. Et crois-moi, je préfère le savoir avec moi plutôt que dans ce bâtiment. »

Kosrin se mit à rire bruyamment après avoir entendu cela, à tel point qu’Yzan, toujours dans son coin, se mit à sursauter d’un coup et les regarda, apeuré comme s’il venait d’entendre un des monstres qui peuplaient ses histoires d’enfant.

« - Enfin, je te reconnais bien là. T’as jamais beaucoup aimé cet endroit, dit-il en essuyant ses yeux. Et j’imagine que je ne pourrais pas te faire changer d’avis. Ce qui me paraît bizarre, c’est que tu viennes me voir pour ça, alors que n’importe qui aurait pu te donner cette info.
- Eh bien, au-delà du fait que je voulais avoir ton avis et qu’il me fallait quelqu’un de confiance, je dois t’avouer que j’aurais bien aimé avoir quelques-unes de ces fioles que tu sais si bien fabriquer… Elles ne sont pas simples à préparer, et avec la perte de mes ingrédients…
- Ah, je me disais bien aussi ! Tu veux la spécialité de Kosrin ! T’as bien raison, ça pourrait t’être utile, même si j’espère que tu n’auras pas à t’en servir. »

A ses mots, il se leva et alla chercher dans les tiroirs de l’étagère derrière lui une dizaine de fioles de couleurs différentes – deux vertes, deux rouges, deux violettes, deux bleues et deux jaunes – et les donna à son confrère, qui le remercia grandement pour cela. Après quelques échanges supplémentaires, et après avoir poliment refusé l’invitation à dormir chez lui, Cadus et Yzan prirent congé de l’autre alchimiste et, plus rapidement qu’ils n’étaient venus, sortirent de la grande tour blanche pour rejoindre une auberge proche de l’étable où ils avaient laissé leurs chevaux, afin d’y louer une chambre pour la nuit.

« - Et maintenant, on fait quoi ? demanda l’adolescent en s’asseyant sur un des deux lits de la chambre.
- Nous partirons demain matin pour Duban-Lean. C’est un grand port du sud du pays. Nous en aurons bien pour deux ou trois bonnes semaines de route.
- Pffff… On ne fait que voyager… soupira le garçon en s’allongeant.
- Je sais bien, mais… »

Leur discussion fut rapidement interrompue, car on venait de frapper à la porte. Ils se regardèrent tous deux, un peu surpris, puis l’alchimiste prit la décision d’aller ouvrir. Derrière la porte se tenait un des serveurs de l’auberge, toujours dans son habit de fonction, car l’heure du souper était loin d’être passée.

« - Monsieur Truns ? Quelqu’un vous demande en bas. Elle a réservé une table pour vous, seul. »

Elle ? Qui pouvait bien être cette personne qui le demandait, sans dire son nom qui plus est ? Il regarda Yzan, qui n’en savait de toute façon pas plus que lui, et voyant que le serveur attendait sa réponse, lui dit qu’il arrivait. Après avoir pris bien soin de dire au garçon de fermer derrière lui, de n’ouvrir à personne d’autre qu’à lui, et après lui avoir donné quelques fioles, il se rendit en bas.

La salle à manger était pleine à craquer, et au vu du boucan qui y régnait, il était difficile de s’entendre ou de se concentrer sur quoi que ce soit. Il chercha du regard la table à laquelle il pouvait être convié, bien que n’ayant aucune information sur celle avec qui il devait dîner. Il n’eût cependant pas besoin de chercher longtemps, car, à un coin de la pièce, une femme lui faisait de grands signes de la main. Un peu surpris, et la main près de sa dague qu’il portait toujours, il alla la rejoindre, s’asseyant silencieusement en face.

C’était une jeune femme, d’une trentaine d’année en apparence, avec une belle chevelure blonde lui tombant sur les épaules. Elle avait de grands yeux verts, un nez plutôt proéminent et un peu recourbé, et des lèvres fines. Elle était plutôt maigre, et le poids qu’elle devait porter était surtout dû à ses muscles car, sans être au niveau de la caporale qu’il avait vu l’autre jour, il voyait bien que c’était, au minimum, une grande sportive. Ils restèrent ainsi en silence durant quelques minutes, pendant lesquelles elle sirotait tranquillement une bière, en le regardant toujours dans les yeux.

« - A qui ais-je l’honneur ? Demanda finalement le scientifique.
- Je ne pense pas que mon nom ait une réelle importance, Monsieur Truns. Mais vous pouvez m’appeler Jenith, répondit-elle en souriant.
- Bien, Jenith donc. Et puis-je savoir pourquoi je suis invité à votre table ? »

Elle le regarda en souriant, et continua de boire sa bière, gardant le silence durant quelques secondes qui parurent durer des heures.

« - Je viens vous mettre en garde, dit-elle en arrêtant de sourire. Ou, plutôt, vous déconseiller de continuer votre voyage avec le jeune garçon, qu’importe où vous avez prévu de vous rendre.
- Et que me proposez-vous à la place, Mademoiselle Jenith ?
- Laissez l’enfant venir avec moi. Il a besoin d’une protection. »

Se moquait-elle de lui ? Il savait pertinemment qu’Yzan avait besoin d’une protection, mais croyait-elle vraiment que c’était comme ça qu’elle arriverait à le convaincre de partir ? Alors qu’ils venaient de se rencontrer ?

« - Je suis désolé, Mademoiselle, mais j’ai bien peur que ça ne soit pas possible. Rien ne me prouve que vos intentions pour lui ne soient réellement louables.
- Je n’ai aucun intérêt à ce qu’il aille mal, croyez-moi, dit-elle en continuant de le fixer. Vous sentez bien que tout ceci vous dépasse, alors lâchez prise. C’est dans votre intérêt.
- J’ai promis à cet enfant que je l’aiderais à retrouver sa famille, et j’ai moi-même à faire dans cette histoire. Je ne sais pas qui vous êtes réellement, ne ce que vous lui voulez, mais il faudrait me passer sur le corps avant que vous ne puissiez l’approcher. »

La femme continua de le fixer, au plus profond des yeux, pendant deux longues minutes, comme si elle cherchait à accéder à ses pensées. Puis, finalement, elle soupira lentement, et se leva.

« - Je ne vous ferais visiblement pas changer d’avis ce soir. Vous faites une erreur, mon cher Cadus. J’espère qu’elle ne vous coûtera pas trop cher. »

Sur ses mots, elle prit un chapeau posé à ses côtés, le mit sur elle et, sans dire quoi que ce soit de plus, sortit de l’auberge. Cadus resta durant encore quelques minutes seul à sa table, réfléchissant à ce qui venait de passer. Puis il rejoignit sa chambre, pour constater avec bonheur qu’Yzan était bien là, l’attendant avec impatience.

« - Alors, c’était qui ? Demanda-t-il avec une pointe d’excitation.
- Rien de spécial, une vieille connaissance, mentit l’alchimiste en gardant son ton calme. »

Il n’allait pas lui dire. Le pauvre garçon avait déjà beaucoup de choses à penser, et ce n’était pas bon s’il en rajoutait encore une couche. Il n’avait pas besoin de tout savoir. Il ne fallait surtout pas qu’il sache tout. Il devait se contenter de le protéger, coûte que coûte.

Coûte que coûte.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 08 Mar 2017 18:41

Chapitre 4 : Dans les marais

Il y avait plusieurs moyens de rejoindre la ville portière de Duban-Lean, située dans le sud-ouest du pays. La première, la plus simple mais la plus longue, consistait à rejoindre un autre port et de faire le trajet par la mer, en longeant la côte est et sud du pays. C’était la solution privilégiée des marchands, car elle permettait de transporter de nombreux produits facilement, et de ceux qui n’avaient pas envie de se fatiguer à cheval. La seconde option, un peu plus rapide, demandait de faire la route à cheval –ou à pied, ou en carriole, bref, par un autre moyen que la navigation-. Pour cela, depuis Ezahol, il fallait traverser de nouveau une grande partie des plaines, en direction du sud-ouest, puis aller au travers d’une petite portion de forêt avant de rejoindre l’endroit que les voyageurs redoutaient le plus, et qui souvent les décourageait à prendre cette voie : les marais.

Dans l’imaginaire collectif, les marais ont toujours une connotation étrange, un peu mystérieuse, même si ceux-ci étaient on ne peut plus sûrs, au point même qu’ils contenaient des villes en leur sein. Mais malgré tout, il y a cette appréhension constante, car c’est le lieu privilégié des histoires d’horreur que l’on a l’habitude de raconter aux jeunes enfants. Ce fut la route que décida de prendre Cadus, accompagné d’Yzan, d’une part car elle était plus rapide mais aussi car, homme de science qu’il était, il ne laissait pas son imagination prendre le dessus sur les faits.

Après une bonne semaine de voyage sans incident majeur et au milieu de routes encore relativement fréquentées, les deux compagnons arrivèrent à la frontière avec les marais, dans une petite ville appelée Mirinas. C’était d’ailleurs plus un grand village qu’une petite ville, car on ne peut pas dire qu’il y avait un nombre important de maisons. Les voyageurs étaient aussi nettement moins nombreux que durant le reste de leur route, car seuls les quelques courageux – et ils étaient rares, surtout en cette époque de l’année, l’hiver approchant à grand pas – venaient profiter ici d’un repos bien mérité avant d’entamer la traversée des marécages.

Le village en lui-même ne paraissait pas, au premier abord, très accueillant. Les maisons grises se succédaient sans saveur, toutes se ressemblant plus ou moins, et n’arboraient pour la plupart aucun élément décoratif. Ce n’était qu’une succession de bâtiment formant les différentes rues, sans originalité ni âme. Les quelques personnes se baladant dehors, excepté les voyageurs, étaient en grande majorité des personnes plutôt âgées, ignorant – probablement car trop habituées – ceux qui venaient passer une nuit ou deux ici. Pour ainsi dire, le seul bâtiment vers lequel on avait envie de se rendre était l’auberge, l’élément le plus important de cet endroit au final, et c’était là qu’ils décidèrent de se poser, la nuit commençant doucement à poser son voile.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, l’intérieur de l’établissement revêtait un caractère extrêmement chaleureux. Les murs étaient recouverts de tapisseries aux couleurs chatoyantes – du rouge, de l’orange ou du jaune principalement – et un pianiste au fond de la pièce principale, près des tables, égayait ce lieu de sa musique. Au milieu de cela, assis çà et là, des voyageurs discutaient à haute voix, racontant leurs divers exploits passés, ou ceux qu’ils avaient prévus. Deux élégantes serveuses passaient entre les tables, plateaux à la main, pour apporter les commandes aux clients, arborant en toute situation un grand sourire.

Yzan regardait cela avec une sorte d’émerveillement dans les yeux. Certes, il avait eu l’occasion de voir de nombreuses fois ce genre de scène depuis leur départ suite à l’incendie, mais c’était à chaque fois, pour lui, quelque chose de nouveau. Ce n’était jamais les mêmes personnes, ce n’était jamais les mêmes morceaux joués. Et, à chaque fois, une sorte de petit bonheur qui le réchauffait. Il ne put cependant pas rester statique, à observer trop longtemps, car Cadus était déjà parti voir le barman, qui était le responsable de l’auberge, comme un peu partout. Après avoir demandé une chambre pour deux personnes – et ce n’était pas ce qui manquait ici -, ils allèrent s’installer à une table, sans trop s’approcher des bruyants personnages, qui commençaient visiblement déjà à être sous l’effet du contenu des chopes qu’ils avaient ingurgitées.

« - Il y a quelque chose que je voudrais te donner, dit l’alchimiste au jeune garçon alors qu’ils s’installaient. Une sorte de cadeau, si on peut dire ça.
- Un cadeau ? S’écria le jeune homme avec une joie non dissimulée. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? »

Le scientifique sortit de son sac un bout de tissu bleu, avec de jolis motifs dessinés dessus, qu’il déroula devant les yeux grands ouverts de son interlocuteur. A l’intérieur, il y avait une sublime petite épée à la lame couleur argentée, et dont la garde était sertie avec une jolie pierre jaune. Un peu surpris par ce « cadeau », le garçon la prit néanmoins – par la garde, et avec une grande prudence – pour l’observer de plus près.

« - J’aurais préféré t’offrir autre chose, un vrai cadeau. Mais… Pour ne pas te mentir, je me suis dit que ce serait peut-être le plus utile. On ne sait pas trop dans quoi on s’engage, et il faut que tu puisses te défendre au besoin.
- Mais… Je ne sais pas me servir de ça moi, dit Yzan en regardant son compagnon avec des grands yeux. Je n’y ai jamais touché avant…
- Je t’apprendrais les bases. Je ne suis pas un grand bretteur, mais je connais deux ou trois trucs. En attendant, évite de trop t’amuser avec. Il ne faudrait pas que tu te blesses. »

Avec une infinie précaution, le garçon remit la lame dans le tissu et la posa à ses côtés, sur le banc où il était assis, alors que le repas arrivait, apportée par l’une des serveuses. Ce n’était pas un repas très copieux, et il n’avait pas l’air d’être très bon non plus, mais la faim qui lui tiraillait le ventre depuis le début de l’après-midi – depuis le précédent repas donc – fit qu’il avala avec une rapidité à toute épreuve le contenu de son assiette, avant d’ingurgiter presque entièrement son verre d’eau.

« - Tu as déjà été à Duban-Lean ? demanda-t-il à son acolyte qui était, pour sa part, encore en train de manger son repas.
- Deux ou trois fois oui, répondit-il entre deux bouchées. C’est une grande ville portuaire. Beaucoup d’industries s’y sont installées. Elle fonde sa richesse sur son port et sur son exploitation de malerith, un minerai…
- Et il faut encore longtemps pour y aller ? Coupa l’adolescent visiblement peu intéressé par l’économie de la ville
- Hum… Je dirais encore un petit peu plus d’une semaine. Il faut que nous traversions les marais, et nous aurons encore un peu de route après. On devrait s’arrêter à…
- Excusez-moi ? »

Ce n’était pas, ce coup-ci, Yzan qui venait de le couper au beau milieu de sa phrase, mais une voix plus douce qui venait de derrière lui. L’alchimiste se retourna, un peu agacé de ne pas pouvoir terminer ce qu’il voulait dire. Une jeune femme, probablement autour de vingt-cinq ans, se tenait là. Elle avait la peau assez mate, de longs cheveux bruns attachés en queue de cheval et des petits yeux marron. Les traits de son visage, et de son corps d’une manière plus général, était fin et on pouvait deviner rien qu’en la regardant qu’elle devait être d’une grande souplesse. Elle portait un pantalon parfaitement ajusté et un haut en laine visiblement bien chaud, ce qui n’était pas un mal étant donné le froid qu’il faisait. De chaque côté de sa taille, elle portait de petits fourreaux, vides, mais qui devait contenir en temps normal des dagues, ou toute autre arme de ce type. Elle se tenait là, main sur les hanches, le regard rivé sur le petit garçon avant de revenir sur l’alchimiste qui la fixait.

« - Excusez-moi de vous déranger, j’ai entendu votre conversation, dit-elle avec sa douce voix. Vous, euh… Vous vous rendez à Duban-Lean ?
- Il se pourrait bien, effectivement, répondit Cadus d’un air suspicieux.
- Je, hum… Je m’y rends aussi, pour mon travail. Et je me demandais si… si je pouvais me joindre à vous pour le voyage. J’ai entendu dire que des bandits opéraient en ce moment dans les marais, et je ne voudrais pas m’y risquer seule… »

L’alchimiste réfléchit quelques instants avant de répondre, la dévisageant avec un regard grave. Bien sûr, il n’avait probablement rien à craindre d’elle et elle semblait être une simple voyageuse, comme eux. Mais depuis l’autre fois, depuis que cette femme l’avait interpellé à Ezahol, il était beaucoup plus suspicieux vis-à-vis des personnes qui venaient l’accoster à l’improviste, comme elle. Rien ne pouvait réellement lui prouver qu’elle n’avait pas d’intention malveillante envers lui ou Yzan. Et si c’était pour se faire égorger au beau milieu de la nuit, ce n’était pas la peine d’y penser…

« - Je suis désolé, répondit-il calmement, mais je pense que nous allons continuer notre route à deux. Voyez-vous, je…
- Moi je veux bien que tu viennes ! s’écria le jeune adolescent. »

Cadus le regarda avec de grands yeux. Non seulement il venait, encore, de lui couper la parole, mais en plus pour prendre une telle décision sans son accord. Avait-il perdu la tête, ou avait-il déjà oublié ce vers quoi ils s’engageaient ? Il ne pouvait pas se permettre, comme ça, de prendre la décision d’être accompagné par une parfaite inconnue, sans même lui demander son avis ! La situation risquait déjà d’être assez dangereuse comme ça, alors si en plus…

« - C’est vrai ? Oh je vous remercie énormément, vous m’ôtez une épine du pied ! Je me présente, je m’appelle Meria, dit-elle, tout sourire, en tendant la main vers l’adolescent.
- Et moi c’est Yzan, je suis content de vous rencontrer, répondit-il en lui serrant la main. Et lui c’est Cadus, c’est un ami à moi !
- Je, hum… Je suis enchanté… dit-il en serrant à son tour, plus timidement, la main de la femme. »

Un léger blanc s’installa alors entre les trois. Yzan et Meria se regardait en souriant, pendant que Cadus fusillait du regard le jeune adolescent, sans que celui-ci ne s’en rende compte.

« - Bon, eh bien… On se dit rendez-vous ici demain matin, quand le soleil se lève, d’accord ? demanda-t-elle.
- Oui il n’y a pas de problème, on sera là, hein Cadus ?
- Euh… Oui, oui, nous serons là, dit-il, un peu pris au dépourvu. »

D’un geste de la main, la jeune fille leur dit alors au revoir, et s’en alla de la pièce pour rejoindre les chambres à l’étage. Le reste du repas se passa dans le silence, avec d’un côté l’alchimiste qui maudissait dans son coin le jeune garçon, et de l’autre celui-ci, très content d’avoir fait une nouvelle connaissance. Ils continuèrent de ne rien dire jusqu’à ce qu’ils se rendent dans leur chambre, où l’alchimiste ne put plus se retenir.

« - Mais qu’est-ce qui t’a pris d’accepter, par les éléments ? Demanda-t-il d’un ton sec, rompant avec son habituel calme.
- Euh, je… Elle avait l’air gentille, je ne sais pas… Elle ne me semblait pas méchante.
- Ce n’est pas parce qu’elle te semble gentille qu’elle l’est forcément ! Enfin, à quoi est-ce que tu penses ? Est-ce que tu sais le nombre de personnes qui se font passer pour des « gentils » pour mieux te voler, ou pire ? Est-ce que tu as oublié ce que nous devions faire ? Tu crois que c’est une partie de plaisir ? »

C’était la première fois depuis qu’il l’avait rencontré qu’il voyait Cadus dans cet état. En temps normal, il avait toujours un ton très calme, prenant le temps d’exposer les choses avec clarté et discernement. Mais là, ce n’était plus le même. C’était comme si quelque chose en lui venait de se briser, comme s’il venait de faire éclater au grand jour tout ce qu’il conservait au plus profond de lui depuis un moment. Il n’était plus le même. Il se mettait presque à crier. Mêmes les autres fois où il l’avait réprimandé, ça ne s’était jamais passé comme ça. Il lui faisait toujours remarquer ses erreurs, avant de lui dire que ce n’était pas grave en souriant. Mais les choses étaient différentes. Trop différentes. Ne sachant visiblement pas quoi répondre, Yzan se mit à bredouiller quelques mots pendant que les larmes lui montaient aux yeux.

« - Je… Je suis désolé, je ne savais pas… Je ne voulais pas… Je… »

Il ne put se retenir plus longtemps et, sans même pouvoir continuer à dire quoi que ce soit, il se mit soudainement à pleurer. Lui-même ne savait pas trop pourquoi. Il n’avait pas l’habitude de pleurer quand on lui faisait des reproches, il était même plutôt du genre à se vexer, mais la situation n’était pas la même. C’était son ami – depuis peu, certes, mais son ami tout de même, celui qui l’avait aidé jusque-là – qui était en train de presque lui crier dessus. Lui aussi était sous pression. Lui aussi faisait attention tous les jours, lui aussi avait peur. Il sentait bien, au quotidien, que son compagnon se méfiait de tout et de tout le monde. Il avait du mal à supporter tout cela. C’était la goutte de trop.

En voyant ce torrent de larmes qui déferlait soudainement, le scientifique se calma un peu. Que lui arrivait-il ? Pourquoi n’arrivait-il pas à rester calme, comme il l’était auparavant ? Il n’avait pas supporté la décision d’Yzan, prise unilatéralement, mais ce n’était pas normal qu’il s’emporte comme cela, ça ne lui ressemblait pas. Il ne devait pas s’énerver, il le savait. Ça ne pouvait rien apporter de bon. Il prit une profonde inspiration, pour reprendre son calme. Il devait rester calme. Ne serait-ce que pour lui. Il s’approcha de lui, toujours en pleurs, et, en se mettant à genoux, le prit dans ses bras.

« - Je suis désolé de m’être emporté. Je ne devrais pas. Je ne le ferais plus. Je te le promets.
- Je… Ce, ce n’est pas grave… répondit-il en essuyant ses larmes. J’aurais dû te demander avant… Je suis désolé aussi. »

Les deux amis se regardèrent, se souriant mutuellement. Il n’y avait pas de raison de s’énerver. Il n’y avait pas de raison de pleurer. Il suffisait de s’expliquer.
Une fois qu’ils furent calmés, chacun alla se coucher dans son lit. La nuit serait courte avant que le soleil ne se lève, et il fallait en profiter autant que possible. Avant que Cadus n’éteigne la bougie, l’adolescent crû tout de même bon de faire une dernière remarque.

« - Tu sais, Meria… Je sens que c’est quelqu’un de bien. »

L’alchimiste ne répondit rien, et se contenta de lui sourire, avant d’éteindre la bougie. Il avait probablement raison. Probablement.
Dès les premières lueurs de l’aube, tous étaient prêts à partir. Cadus, Yzan, et aussi Meria, qui les attendait dehors. Elle se tenait à côté d’un cheval blanc dont elle caressait doucement le flanc. A la place de son haut en laine, elle portait quelque chose d’un peu plus léger, mais recouvert par une sorte de veste en cuir. Les fourreaux qu’elle avait sur le côté étaient occupés par des lames dont on ne voyait que la garde, cristalline. Plus étonnant, elle portait sur son bras droit, accroché un peu en arrière de son poignet, une espèce de petite arbalète portative comme l’alchimiste n’en avait jamais vu. Il ne savait d’ailleurs pas précisément si c’était bien une arbalète, mais c’était l’image que ça en donnait. Après quelques commodités d’usages – « Bonjour » « Vous avez bien dormi ? » et autres-, les trois compagnons se mirent en route.

Il ne fallut pas une heure avant qu’ils n’atteignent les marais, recouverts par un léger brouillard. Ce n’était vraiment pas un endroit accueillant et, plus ils s’enfonçaient dedans, plus ils comprenaient pourquoi les gens préféraient éviter ce lieu. Si on sortait du chemin tout tracé, on se retrouvait au milieu d’une étendue qui semblait sans fin de vase, d’eau, de nénuphars et de grenouilles. Il y avait bien ça et là quelques arbres, qui avaient su s’adapter aux conditions particulières de ce lieu, mais eux-mêmes paraissaient un peu mourant, et les quelques-uns dont les fleurs avaient éclos arboraient une étrange couleur proche du violet. A part cela, la végétation se résumait à des roseaux qui poussaient un peu partout et, parfois, à une ou deux fleurs qui jalonnaient le chemin, comme une sorte d’indication. Parmi les animaux, à part les grenouilles, on ne trouvait guère que quelques têtards, des oiseaux – surtout des corbeaux – qui allaient d’arbre en arbre, des espèces de lézards un peu bizarres, mais aucune espèce qui dépassait les cinquante centimètres.

Ils suivirent ainsi le chemin, ne pouvant pas observer beaucoup plus autour d’eux à cause du brouillard. Cadus était devant, ouvrant la marche, suivi de près par Yzan, Meria étant à l’arrière. Ils avançaient à un bon rythme, car la ville qu’ils avaient prévu d’atteindre, située dans les marais, n’était pas à côté, et le moindre retard pris risquait de leur faire passer la nuit dehors, ce qui était une idée qui n’enchantait aucun des trois.

« - Cadus… Il y a quelque chose de bizarre par ici… Dit le jeune garçon, tournant le regard partout autour de lui, comme pour chercher quelque chose.
- Ce n’est que ton imagination. Avec le brouillard, on ne voit pas grand-chose, mais tu n’as pas à avoir peur.
- Non, ce n’est pas ça… Il y a vraiment quelque chose… »

L’alchimiste n’eut pas le temps de se retourner, qu’un grand cri retentit derrière lui. C’était le bruit du petit cheval d’Yzan qui, soudainement, s’écroula, manquant par la même occasion d’écraser les jambes de son cavalier, qui réussit de justesse à se défaire des étriers. Sans attendre, les deux autres descendirent de leur monture pour accourir vers le jeune garçon.

« - Ça va, tu n’as rien ? S’empressa de demander, inquiet, le scientifique.
- Non, non, ça va mais… Mon cheval, pourquoi il vient de tomber…
- On l’y a poussé, si tu veux mon avis, dit la jeune femme qui se tenait près de l’animal. »

Tout en disant ces mots, elle montra à ses camarades de voyage une flèche, qu’elle venait visiblement de retirer de la nuque du cheval, inerte. Avec effroi, l’adolescent regarda l’arme du crime, celle avec laquelle on venait, si ce n’est de tuer, au moins de blesser sa monture préférée – sa seule monture, en fait-.

« - Ce n’est pas une flèche normale. Il y a une sorte de… gel dessus. Je ne préfère mieux pas y toucher, rajouta-t-elle.
- Soyez sur vos gardes. Nous ne sommes pas seuls, dit Cadus en posant sa main sur son fourreau. »

Sur cette remarque évidente, un léger rire sortit d’à travers le brouillard. A cause de l’absence de visibilité, on eut l’impression qu’il venait de partout autour d’eux, alors qu’il était évident qu’il ne venait que d’une seule personne. Se relevant, l’alchimiste et la jeune femme se mirent autour d’Yzan, toujours par terre, au côté de son cheval. Ils regardaient partout autour d’eux, cherchant à savoir d’où venait cette flèche, craignant qu’une autre ne puisse arriver et, possiblement, toucher l’un d’entre eux. Le rire retentit de nouveau, plus gras ce coup-ci, alors que, au travers du brouillard, des formes humaines semblaient se dessiner. Cinq formes très exactement, qui se rapprochaient d’eux, les encerclant. C’était des hommes, pour la plupart assez costauds et grands, portant de simples hauts en lin recouvert d’une écharpe en fourrure. Ils portaient, à la ceinture, une épée sans fourreau, et l’un d’entre eux avait en plus, accroché dans le dos, un arc. Celui avec lequel avait été tirée la flèche, sans aucun doute, même si il semblait ne plus lui rester beaucoup de munitions. Ils continuèrent de se rapprocher, jusqu’à s’arrêter à deux ou trois mètres d’eux.

« - Ne vous inquiétez pas pour le cheval. Il ne se relèvera pas. »

Sous le rire des cinq bandits, ou tout du moins c’est ce qu’ils semblaient être, un sixième homme apparut. Plus petit, plus trapu, plus âgé aussi, il portait dans son dos une sorte de masse, qui devait bien faire la moitié de sa taille. Il s’approcha de Cadus, le sourire aux lèvres, ne s’arrêtant que juste devant lui.

« - Nous n’avons rien de valeur, dit l’alchimiste, toujours la main sur le fourreau. Ni or, ni bijoux, ni objets. Vous n’aurez rien de nous.
- Oh mais ne t’inquiète pas gamin, nous n’attendons rien de tout cela… Nous ne voulons que lui, dit-il en montrant Yzan du doigt. »

Le jeune garçon, toujours assis, regarda avec effroi l’homme qui venait de le désigner. Lui ? Que lui voulait-il ? Pourquoi avait-il besoin de lui ? Non, il ne voulait pas… Il ne voulait pas partir avec ce type…

« - Je suis désolé, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas possible. Ce garçon est avec nous.
- Oh mais pourtant, il va bien falloir, si tu tiens à la vie, répondit le bandit en lui prenant le cou. Je te promets de ne pas te faire trop de mal si tu nous le livres… »

L’alchimiste avait du mal à respirer, tellement l’étreinte était puissante. Mais il ne devait pas lâcher. Il ne devait pas abandonner Yzan. Pas ici, pas avec eux. Mais que pouvait-il faire ? Il était en position de faiblesse. Ils étaient six, et eux n’étaient que deux, au mieux, à pouvoir se battre. Et il préférait que cela n’arrive pas devant l’adolescent. Il ne voulait pas lui montrer un tel spectacle.

« - Eh patron, on pourrait prendre la fille aussi, non ? cria le bandit avec l’arc, situé non loin de Meria.
- Ne t’avise même pas de t’approcher de moi, sinon… dit-elle, le regard plein de haine.
- Sinon quoi ? Tu vas te mettre à crier ? Rigola-t-il en lui prenant le visage d’une main. »

D’un geste vif, la jeune femme dégaina l’une de ses dagues et l’enfonça profondément dans la gorge du bandit, avant de la retirer presque aussitôt. Dans un cri d’horreur, celui-ci la lâcha pour se prendre le cou, essayant d’empêcher le sang de couler, en vain. Il ne fallut que quelques secondes pour qu’il s’écroule à terre sous le regard de ses compagnons. Profitant de la surprise qui s’emparait d’eux, Cadus donna un violent coup de genou dans le ventre du soi-disant chef des bandits qui, le souffle coupé, le lâcha. Il en profita pour sortir sa lame de manière à asséner un coup fatal à son adversaire, mais celui-ci stoppa son élan avec sa masse, qu’il venait de prendre en main.

« - Prenez le garçon vivant, mais tuez les autres ! Aucune pitié ! Beugla-t-il. »

Sans attendre plus longtemps, chacun dégaina son arme. Trois d’entre eux se ruèrent sur Meria, qui venait de dégainer sa deuxième dague. Avec une habileté surprenante, elle esquiva un premier assaut du bandit, qu’elle contra par un violent coup de pied au niveau des parties intimes, arrêtant net le bandit, qui tomba au sol de douleur. De justesse, elle évita le coup du second et contra la lame du troisième avec une de ses dagues, celle de la main gauche, visiblement très solide. Sans attendre qu’un seul des deux ne puisse réagir, elle jeta la dague qu’il lui restait en plein dans la tête du bandit encore déstabilisé par l’esquive, qui tomba raide à terre. L’autre, visiblement décontenancé par la vitesse à laquelle ceci venait de se passer, et la perte d’un de ses compagnons, eut à peine le temps d’esquisser un deuxième coup que, déjà, elle lui enfonçait sa dague au plus profond de l’abdomen, déchirant ses viscères.

L’alchimiste, pendant ce temps – qui ne dura qu’une petite minute en réalité -, était face au patron et à un de ses sous-fifres. Il esquiva, avec une dextérité moindre et beaucoup de chance, l’un des assauts à la masse, doublé d’un coup d’épée qui lui frôla le bras. Cette masse, visiblement, était capable de lui briser les os en une seule fois. Il ne devait pas se faire toucher. Pas à un seul moment. Evitant à peine un nouveau coup d’épée, qui lui racla une bonne partie de la peau de son bras gauche, il sortit de son sac une petite fiole, de couleur orange, qu’il balança en direction du chef. Celui-ci brisa la fiole d’un coup net avec sa masse, laissant le liquide se répandre dessus.

« - Eh tu crois quoi, avec tes trucs ? Viens te battre comme un homme ! »

A ces mots il s’élança, masse en avant, bien décidé à en finir avec le squelette du scientifique. Celui contra le coup avec sa lame et, à la grande surprise du bandit, celle-ci s’enfonça dans son arme comme dans du beurre, la découpant entièrement et, accessoirement, lui tailladant une bonne partie du thorax. Le reste de la masse tomba à ses côtés, dégoulinant comme du fer fondu alors qu’elle touchait le sol. Sans défense, et sous le choc, il ne resta plus qu’à Cadus à lui enfoncer sa lame dans le cœur pour en finir avec lui. Dans un dernier râle d’agonie, cette crapule ne fit rien de plus que de l’insulter. Le dernier bandit, car celui qui se tenait les parties de douleur venait visiblement d’être achevé, pris de panique, lâcha son arme et courut pour s’enfuir mais s’arrêta net alors qu’il n’avait parcouru que quelques mètres, tombant à terre. Meria, le bras droit en avant, venait de lui asséner une flèche meurtrière de façon extrêmement précise grâce à la petite arbalète qu’elle portait sur son bras.

Une fois tous les bandits hors d’état de nuire, la tension retomba subitement. Ils venaient de s’en sortir, vivants. L’alchimiste poussa un soupir de soulagement, malgré la douleur qu’il ressentait au bras gauche, avant d’avoir comme une sorte de flash : Yzan. Il se retourna vers là où était le jeune garçon au début de la bataille. Et il y était toujours. Il n’avait pas bougé d’un pouce, serré contre son cheval, et ayant probablement vu, avec effroi, l’entièreté de ce qui venait de se passer. S’en voulant intérieurement de l’avoir exposé à tout cela, bien qu’il n’y était pour rien, Cadus s’approcha de lui, se mettant à sa hauteur. Il ne savait pas quoi dire. Il ne savait pas comment expliquer ce qui venait de se passer. Le pouvait-il seulement ? Il était là, beda, incapable de trouver ses mots, en face des grands yeux du garçon devant lequel venait de se passer un effroyable spectacle. Aucun mot ne fut dit durant quelques minutes, jusqu’à ce l’adolescent pose sa main sur le bras gauche de son ami.

« - Tu saignes… murmura-t-il avec une voix frêle.
- Oh, ce n’est rien, répondit le scientifique. Ça va s’arranger, je… Je suis désolé que tu ais eu à voir ça… Je ne pensais pas que… »

Le garçon se leva, en faisant « non » de la tête, comme si ce n’était pas grave. Mais son regard ne disait pas la même chose. En fait, son regard n’était pas là. Il ne voyait pas ce qui se passait. Il évitait soigneusement de regarder les cadavres à terre, les traces de sang qui jonchaient le chemin. Il regardait ailleurs. Il regardait un autre univers.

« -Il faut qu’on se dépêche, dit-il, toujours avec une voix fragile. Sinon, on ne va pas arriver à l’heure… »

Cadus se leva et acquiesça. Il regarda la jeune femme qui, à son tour, lui fit signe qu’il fallait effectivement y aller. Après s’être bandé le bras avec un bout de tissu qu’il avait dans son sac, il installa l’adolescent à l’arrière de son cheval, se mit en place et tous trois partirent, laissant derrière eux les cadavres des bandits et du cheval, ne prenant pas la peine d’y toucher.

Le trajet se déroula sans un mot, sans un bruit autre que celui que faisait leur cheval au trot. Ils arrivèrent dans le petit village dans lequel ils devaient faire étape juste avant la tombée de la nuit. Là encore, village était d’ailleurs un bien grand mot, car c’était à peine s’il y avait dix maisons, en plus de l’auberge à laquelle ils s’arrêtèrent. A peine les chambres étaient-elles prises que Yzan alla se mettre au lit, sans dire autre chose que « Bonne nuit », laissant seul ses deux autres compagnons, qui s’assirent à une table en silence.

« - J’espère qu’il va s’en remettre, murmura Meria.
- J’espère aussi… J’aurais préféré qu’il ne voie pas cela. Il a déjà vu beaucoup trop de choses… »

Effectivement, il avait vu trop de choses, pour son jeune âge. L’incendie de son village par des bandits, la disparition de toute sa famille… Et maintenant, cela en plus. Des meurtres, devant ses yeux. Bien évidemment, c’était de la légitime défense, et il n’y avait pas d’autres solutions. Il ne pouvait pas l’abandonner, pas à ses bandits. Qui sait où ils l’auraient emmené ? Qui sait ce qu’ils en auraient fait ? Ils avaient pris la bonne décision, en se battant. Mais il aurait préféré ne jamais avoir à la prendre… Même pour lui, tuer quelqu’un n’était pas un acte anodin, fut-ce un bandit. Il n’en avait pas l’habitude. Il avait déjà dû le faire, bien sûr. Mais ce n’était pas un soldat. Ce n’était pas pour ça qu’il était là.

« - Je, hum… Je voulais vous remercier, dit-il à l’égard de la jeune femme. Sans vous, nous ne serions probablement plus là… Vous vous battez avec brio, et… Je voulais m’excuser, de ne pas vous avoir fait confiance au début. Sans vous…
- Ce n’est rien, vous savez, répondit-elle en souriant. Ce n’est pas comme si j’avais vraiment eu le choix non plus, de toute façon. Je tiens aussi à ma propre vie.
- Oui, bien sûr… Sans vouloir être indiscret, où avez-vous appris à vous battre comme ça ? Vous semblez vraiment à l’aise… »

La jeune femme se balança sur sa chaise en souriant. Sa technique de combat était effectivement impressionnante, elle avait une dextérité et une force qu’on ne croise pas tous les jours. Elle s’était débarrassée des bandits sans aucune difficulté, à tel point qu’un entraînement de soldats aurait semblé être inutile face à elle.

« - Je travaille en tant que marin, dans un navire, actuellement à Duban-Lean. Très tôt, on apprend à se battre là-dedans, surtout quand on est une femme. Et quand on doit faire face à des pirates. Et puis, ce n’était que des bandits, ils n’étaient pas vraiment expérimentés, ils n’avaient aucune notion du combat, aucun entraînement…
- Je vois… Je ne savais pas qu’on embauchait des femmes marines, dit-il, l’air interrogateur.
- Très peu en réalité, répondit-elle. Il faut avoir de la chance. Mais, j’aimerais vous poser une question aussi. J’ai trouvé ça, dans les poches du chef des bandits. J’aimerais avoir votre avis là-dessus. »

Elle tendit à Cadus une feuille d’extrêmement bonne qualité, quoiqu’un peu pliée et déchirée sur les côtés. Dessus, il n’y avait qu’une phrase « Ramenez l’enfant vivant. » et une signature : « T ». Ainsi, ces bandits avaient bien été envoyés par quelqu’un… Il s’en était déjà douté quand ils avaient demandé à ce que leur soit livré Yzan, mais il avait un peu oublié cette information suite à la bataille. Qui avait bien pu les recruter pour cela ? Qui était ce « T » ? Etait-ce le même que dans « T.M.I » ? Peut-être. Peut-être était-ce autre chose, une simple coïncidence. Il ne pouvait pas le savoir avant d’être arrivé à Duban-Lean, de toute façon.

« - Si nous continuons la route ensemble, je pense qu’il va me falloir quelques explications, répéta Meria avec un grand sourire sur le visage. »

L’alchimiste soupira. Il aurait préféré ne pas lui parler de tout cela, qu’elle ne sache rien. Mais, après tout, elle les avait aidés maintenant. Elle était en droit de savoir. Et il fallait peut-être mieux ça plutôt qu’elle ne s’imagine des histoires bien plus tordues. Il lui raconta donc durant de nombreuses minutes toute l’histoire qui les avait emmenés jusqu’ici, en omettant juste volontairement sa drôle de rencontre avec la femme à Ezahol. Elle l’écoutait, attentivement, visiblement captivée par ce qu’il racontait. Une fois l’histoire terminée, un grand silence se mit en place pendant quelques instants.

« - Je vois, finit-elle par dire. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend ça… Vous menez une aventure bizarre. Mais, si jamais vous avez besoin d’aide, vous pouvez compter sur moi. Dans la mesure du possible, bien entendu.
- Je vous remercie, répondit-il en souriant. Votre aide sera la bienvenue. »

La soirée ne se poursuivit pas beaucoup plus longtemps, les deux étant visiblement exténués par leur journée. Ils s’en allèrent donc, chacun dans leur chambre, le scientifique rejoignant Yzan qui somnolait déjà profondément, pour profiter d’une nuit de sommeil bien méritée.

Le reste du voyage se passa normalement. Durant deux ou trois jours, l’adolescent ne parla presque pas puis, soudainement, il recommença à avoir son entrain naturel, discutant énormément avec Meria, voulant en savoir plus sur sa vie en bateau – encore quelque chose qu’il n’avait jamais vu -, sur la grandeur du continent, tous les endroits qu’elle avait eu l’occasion de visiter. Il semblait que, par ses histoires, il oubliait un peu tout ce qu’il avait vu quelques jours auparavant, et cela lui faisait le plus grand bien. Alors elle lui racontait ses aventures, lui montrant comment faire un bon nœud, ou lui expliquant comment fonctionnait les vagues ou le vent – enfin, selon son interprétation, ce qui faisait parfois bondir le scientifique -. Il s’était énormément attaché à elle, et réciproquement, au point de monter sur son cheval pour qu’elle continue ses histoires, quand ils devaient reprendre la route. Elle représentait ce qu’il avait toujours voulu : la liberté. Pouvoir aller où on veut. Pouvoir voir le monde entier.

Finalement, le voyage arriva presque à son terme. Cadus venait de leur annoncer que, dans une journée, ils seraient en vue de Duban-Lean. Plus qu’une journée, enfin. Peut-être les réponses à toutes les questions. Peut-être la fin de leur voyage. Tout allait peut-être bientôt arrivé à terme. Il ne pouvait plus reculer. Il ne voulait plus reculer.
Il voulait savoir la vérité.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 16 Avr 2017 10:48

Chapitre 5 : T.M.I

« - Bien, Meria, Yzan, voilà ce que nous allons faire. »

Assis autour d’une table, un repas chaud installé dessus, dans une chambre d’auberge qu’ils venaient de louer, Cadus, Meria et Yzan discutaient depuis qu’ils étaient arrivés ici, en tout début de matinée. Depuis l’attaque des bandits, et le message qu’ils avaient trouvé, l’alchimiste avait réfléchi à toutes les possibilités. Rien ne lui prouvait réellement que le T qui avait signé cette missive était le même que celui de l’acronyme « T.M.I ». Mais la coïncidence était troublante. Et, qui plus est, ce « T » devait savoir qu’il accompagnait le garçon. C’était un peu trop risqué pour le scientifique de leur rendre visite comme ça. Peut-être même que ce mystérieux homme savait déjà qu’ils étaient en ville. Peut-être savait-il qu’ils étaient dans cette chambre d’auberge. Comment le savoir ?

Ils avaient certes pris toutes les précautions en arrivant en ville. Ils s’étaient mêlés à un convoi de marchand qui, par bonheur, arrivait en même temps qu’eux, histoire de passer un peu plus incognito. Et, une fois arrivés en ville, il n’était pas difficile de semer la piste de quelqu’un qui les aurait suivis. En effet, Duban-Lean était décomposé en plusieurs quartiers. Le Quartier de l’Or, celui par lequel arrivait la quasi-totalité des voyageurs, était un secteur marchand et résidentiel, qui grouillait de monde. Rien de plus simple que de se perdre au milieu de la foule, le temps de trouver un établissement où s’abriter. Là, il avait réservé une chambre, sous un autre nom, au cas où. Il devenait un peu paranoïaque, depuis leur agression. Un petit peu trop, peut-être.

Le problème se posait pour se rendre au siège de cette grande entreprise. Celle-ci était située dans le Quartier du Fer, à l’opposé de la ville. C’était un secteur où, justement, se trouvaient de nombreuses entreprises, de tailles plus ou moins importantes, qui profitaient de la proximité avec le Quartier de la Pierre, le long des falaises, et qui était la zone minière de la ville. Une zone où se succédaient des mines de malerith, d’or noble, d’adamante et autres métaux plus ou moins précieux. Il faudrait donc traverser cette zone, relativement déserte en-dehors des tunnels, avant d’arriver à son objectif, situé dans un quartier non moins désert en extérieur. Autrement dit, si quelqu’un l’avait remarqué, ce serait l’endroit parfait pour s’occuper de lui.

Pourtant, il fallait bien qu’il y accède. Il fallait bien qu’il puisse en savoir plus, qu’il puisse poser les questions à ce patron, ou plutôt ces patrons. Il n’avait pas fait ce chemin pour abandonner ici, pour finalement se rendre compte que c’était trop dangereux et que, tant pis, on laisse tout tomber. Non. Ce n’était certainement pas dans ses plans.

Il avait réfléchi à cela tout le trajet, puis toute la matinée, après en avoir discuté avec ses deux compagnons. Il était clair qu’Yzan ne devait pas y aller, et qu’on ne pouvait pas non plus le laisser seul ici. C’était trop risqué. Il fallait donc y aller seul. Mais finalement, la jeune femme qui les accompagnait depuis environ une semaine avait soumis une idée intéressante. Et si c’était elle qui s’y rendait ? L’idée, au départ, avait énormément déplu au scientifique. Non pas qu’il ne lui faisait pas confiance – quoi qu’il y avait un peu de ça, il ne la connaissait que peu après tout – mais il voulait entendre ce qu’il avait à dire de lui-même. Pour ne louper aucune information. Et puis, finalement, elle ne lui avait pas paru si bête que cela. Déjà, peut-être n’étaient-ils pas au courant qu’elle était avec eux. Il était évident que la missive avait été reçue par les bandits bien avant qu’ils ne la rencontrent. Et aucun d’entre eux n’avait pu témoigner… Le seul risque qui restait, c’était si quelqu’un les avait suivis ou avait assisté à la scène. C’était non-négligeable, mais déjà ça en éliminait pas mal.

« - Meria, si l’idée te convient toujours, j’aimerais que tu te rendes là-bas, en tant que marchande intéressée par ses produits, et que tu l’interroges un peu sur qui sont ces clients…
- Bien sûr, pas de soucis, je suis toujours prête à vous aider ! répondit-elle en souriant. J’en profiterais pour observer un peu les lieux, voir si y a pas quelque chose de suspect.
- Très bonne initiative, dit calmement l’alchimiste. Yzan et moi allons rester ici. Et, suivant ce que tu as trouvé, nous aviserons… »

Tous trois se regardèrent dans un certain silence, puis hochèrent en même temps la tête. C’était d’accord, c’était comme ça qu’ils allaient procéder. Ce n’était pas la solution idéale. Ce n’était peut-être pas celle où ils pourraient recueillir le plus d’informations. Mais c’était peut-être la moins risquée de toutes. Et, avant toute chose, il fallait penser à leur sécurité. Mais était-ce bien raisonnable de faire confiance à cette femme, comme ça ? Il l’espérait.

Le Quartier de la Pierre n’était clairement pas l’endroit le plus charmant de la ville. Pratiquement désert, il n’y avait que le bruit sortant des mines – des explosions, des cris parfois – qui se faisait entendre quand on le traversait. La jeune femme se retournait régulièrement, pour vérifier qu’il n’y avait personne qui la suivait, comme le lui avait conseillé l’alchimiste. Mais non, il n’y avait que elle et, de temps à autre, des mineurs qui rentraient ou se rendaient au boulot. Elle avait aussi croisé, à quelques reprises, des personnes travaillant dans les entreprises du secteur où elle se rendait, mais la plupart avait des logements sur place. C’était plus pratique, d’après les dirigeants. Et vu qu’une immense majorité des employés ne venait pas du coin…

En réalité, il n’y avait que très peu d’habitants de la ville ou de touristes qui venaient par ici, car même si c’était le seul chemin, officiel tout du moins, et à moins de vouloir faire un immense tour par l’extérieur de la ville, pour accéder au Quartier du Fer, il n’y avait que peu de monde qui avait besoin de s’y rendre. De fait, la zone s’était faite une mauvaise réputation. On racontait que divers trafics, plus ou moins dégoûtants, y prenaient place une fois la nuit tombée. On disait que la loi de l’Empire ne valait rien dans les tunnels, et que les plus forts imposaient la leur. Les histoires étaient nombreuses, mais il était impossible de savoir si elles étaient vraies. La plupart étaient sans aucun doute des légendes urbaines. D’autres étaient sûrement vraies…

Après quelques temps à marcher, elle arriva finalement au Quartier du Fer, la zone dans laquelle se trouvaient toutes les entreprises. Et l’ambiance n’y était pas beaucoup mieux. Les tunnels étaient troqués contre de grands bâtiments, d’où s’échappait parfois à travers des cheminées d’immenses trains de fumée, et le désert humain par des gardes qui vadrouillaient çà et là, de manière plus ou moins régulière. Mais, à part eux, il n’y avait quasiment personne. On pouvait voir, légèrement en retrait par rapport aux entreprises, de petites bâtisses, en plus ou moins bon état, qui devaient servir d’habitations pour les employés. Il en sortait parfois un ou deux, mais ils n’avaient jamais besoin de faire plus de deux cents mètres pour rejoindre l’endroit où ils travaillaient. Elle ne les enviait pas. Ils passaient leurs vies ici, à jongler entre chez eux et leur lieu de travail. Ce n’était pas une vie, à vrai dire.

Elle arriva devant le plus grand des bâtiments. Comparé aux autres, il était absolument monstrueux. On pouvait aisément mettre deux ou trois de ses voisins à l’intérieur. L’immense porte d’entrée, faite en une espèce de métal mi-doré mi-argenté, était protégée par trois gardes, et d’autres vadrouillaient un peu partout autour du bâtiment. Au-dessus de la porte, une grande enseigne accrochée à la façade affichait « T.M.I » écrit en bronze. Un peu effrayée par toute cette grandeur, elle s’approcha néanmoins de la porte, d’un pas assuré, où elle se fit aussitôt arrêtée par les gardes.

« - Halte-là, dit l’un d’entre eux. Que venez-vous faire ici ?
- Je, hum… Je suis une marchande. Je m’appelle Lynra. J’aimerais m’entretenir avec le patron de cette entreprise, répondit-elle d’un ton sûr.
- Vous avez pris un rendez-vous ?
- C’est-à-dire que je viens juste d’arriver en ville, et je n’ai pas eu le temps de le contacter, dit-elle sans se laisser décontenancer.
- Hum. Attendez ici s’il-vous-plaît. »

Sur ses mots, il ouvrit la grande porte et disparut à l’intérieur du bâtiment durant de longues minutes, sans qu’elle ne puisse voir quoi que ce soit de l’intérieur. Il réapparut finalement, accompagné d’une jeune demoiselle – elle ne devait même pas avoir vingt ans – très élégante dans sa grande robe bleue et avec ses longs cheveux bruns.

« - Veuillez me suivre s’il vous plaît. Monsieur Irlin accepte de vous recevoir. »

Sans plus attendre, elle retourna à l’intérieur du bâtiment, aussitôt suivie par Meria. Vu de l’intérieur, tout semblait encore plus grandiose. Des lustres en verre remplis de bougies pendaient des plafonds, de grandes tapisseries ornées de gravure dorées remplissaient les murs sur lesquels étaient accrochés moult tableaux, dont elle ne saisissait pas toujours la représentation. Et surtout, partout, du monde. Un brouhaha d’enfer remplissait cette immense salle d’entrée de laquelle partait un nombre tout simplement hallucinant de couloirs, d’escaliers ou de portes. Partout, il y avait du monde qui entrait, qui sortait, qui parlait, qui criait. Elle avait même du mal à suivre sa guide, qui se faufilait sans aucune difficulté au milieu de la foule. Elle était à peine capable de dire par où elle était passée – elle avait pris un escalier lui semblait-elle, mais elle ne savait plus combien de couloirs – tellement elle était occupée à faire attention à tout et tout le monde. Et puis finalement, elle lui ouvrit une porte et, dans un grand sourire, lui dit d’attendre ici. Puis, le silence.

C’était une petite salle dans laquelle elle se trouvait, qui ne comportait que deux portes : celle d’où elle venait, et une autre. Il y avait quelques chaises, taillées à la perfection dans un bois qui brillait presque, deux ou trois tables avec des chandeliers, une autre avec un étrange vase aux reflets vert et, sur les murs, un tableau, ou plutôt un portrait, au-dessous duquel était inscrit « Mr. Irlin, co-patron de T.M.I ». Après l’avoir contemplé, bien qu’elle le trouvait assez laid, elle s’assit sur une chaise, attendant que quelqu’un vienne la chercher. Dix minutes. Puis vingt. Puis une demi-heure. Et bientôt quarante-cinq minutes, quand finalement la deuxième porte s’ouvrit, laissant apparaître un grand homme.

Il semblait un peu plus vieux qu’elle, les cheveux noirs plaqués sur le côté, arborant fièrement une petite moustache. Il était habillé avec une classe certaine, dans sa petite chemise estampillée « T.M.I » et avec ses gants en soie. Il la regarda longuement, elle qui, pour le coup, était clairement habillée avec moins de charisme, malgré qu’elle avait sorti sa plus belle robe noire.

« - Mademoiselle Lynra, c’est ça ? Veuillez me suivre, dit-il en retournant là d’où il venait. »

Sans plus attendre, mais avec le cœur un peu serré par le stress, elle le suivit. Avait-elle réellement bien fait de venir ici ? Se doutait-il de quelque chose ? Elle ne pouvait pas le dire à l’heure actuelle. Elle espérait pouvoir y répondre plus tard.
Assez étrangement, et contrairement à ce à quoi elle s’attendait, l’endroit où il l’accueillait n’était pas une pièce beaucoup plus grande que la salle d’attente. Il n’y avait qu’un bureau, deux fenêtres et quelques petites bibliothèques. Rien de bien ostentatoire en fait, comparé au reste du bâtiment. Il allait s’asseoir sur sa chaise, derrière son bureau, lui faisant signe de s’installer de l’autre. Une fois qu’elle fut en place, et après avoir lu quelques papiers qui traînaient là, il entama la conversation avec une voix assez sévère.

« - Sachez bien que c’est assez osé de venir ici comme ça, Mademoiselle. Nous n’acceptons normalement jamais de visites à l’improviste de nouveaux investisseurs. Vous avez de la chance que je sois disponible.
- Veuillez accepter mes excuses, Monsieur, dit-elle de la manière la plus désolée qu’elle pouvait. Je ne suis pas en ville pour longtemps, et il fallait absolument que je m’entretienne avec vous.
- Je vois. Bien, ne traînons pas plus alors. Vous avez dit être une marchande. Où se situe votre boutique, exactement ?
- Je suis une marchande ambulante, mentit-elle. Je parcours tout le continent, pour vendre des produits rares et chers. »

Il leva les yeux du papier qu’il était en train de lire, la regardant avec suspicion, comme si ce qu’elle venait de dire la disqualifiait déjà. A coup sûr, il ne devait pas beaucoup aimer les marchands ambulants.

« - Je vois… Et en quoi nos produits peuvent-ils vous intéresser, dans ce cas ?
- De nombreuses personnes des nations au nord du Continent me demande où ils pourraient trouver vos habits. On parle de vous partout, vous savez.
- Je le sais, oui, inutile d’essayer de me flatter. D’où venez-vous, exactement ?
- Je viens de la Souveraineté de Sillis, Monsieur. »

Un léger sourire s’afficha sur le visage d’Irlin. C’était la bonne pioche. Elle savait parfaitement que Sillis était une puissante nation marchande, située au Nord-Est du continent. Et il n’y avait pas un seul marchand, un seul patron, qui pouvait refuser une de leur offre, car leurs ressources monétaires étaient bien plus importantes que dans tous les autres pays réunis.

« - Intéressant, dit-il en se grattant un peu la moustache. J’imagine que vous faites partie d’une confédération ?
- La Guilde des Ambulants, bien évidemment.
- Ah oui, oui, la Guilde des Ambulants, je vois… Qui en est à la tête, déjà ?
- Rhasris Metrior, Monsieur.
- Ah oui, Rhasris, c’est vrai, ça me revient… »

Elle sourit en l’entendant répondre cela. Elle avait tout inventé. La Guilde des Ambulants, Rhasris Metrior… A sa connaissance, ils n’existaient pas. C’était un pur objet de son invention, et quelque chose dont elle s’était déjà servie plusieurs fois par le passé. Il y avait tellement de confédérations différentes à Sillis qu’il était absolument impossible de toutes les connaître. Chaque jour, de nouvelles apparaissaient pendant que d’autres disparaissaient. Et elle n’aurait surtout pas pris le risque de citer quelques-unes des plus puissantes, cela aurait été trop rapidement grillé.

« - Et vous avez un papier justifiant votre appartenance ? demanda-t-il.
- Bien sûr, le voilà. »

Ça aussi, c’était quelque chose qu’elle avait prévu. Elle sortit du petit sac qu’elle avait emmené avec elle un bout de papier, un peu vieilli, mais qui avait tout pour paraître officiel. Le nom de la confédération, celui de la marchande à qui il était attribué – Lynra en l’occurrence -, la signature du maître de la confédération -qu’elle avait fait elle-même- et celui du Grand Représentant des Confédérations de Sillis, qu’elle avait banalement recopié. C’était, en quelque sorte, une de ses habilités. Pouvoir tromper les autres, elle savait faire.

« - Bien, tout me semble en ordre, dit-il. Nous allons pouvoir entamer les choses sérieuses. »

Sur ces mots, il sortit une pile de papier d’un des tiroirs de son bureau, qu’il posa devant lui. C’était le moment parfait. Elle avait réussi à acquérir au moins une maigre partie de sa confiance, elle pouvait maintenant se permettre de lui poser quelques questions. Elle pouvait essayer d’en savoir plus, ce qui était quand même la raison de sa venue ici.

« - J’aurais quelques petites questions à vous poser, par contre, dit-elle d’un ton assuré.
- Je vous écoute, répondit-il en cherchant parmi la pile la feuille qu’il voulait.
- J’imagine que vous avez des relations soutenues avec vos clients…
- Bien évidemment, Mademoiselle, vous m’offensez ! Aucune entreprise autre que T.M.I ne s’occupe autant de ses clients. Nous avons un rapport privilégié avec chacun d’eux, et ce sera le cas avec vous aussi, bien entendu.
- J’en suis très heureuse, car, voyez-vous, de drôles de rumeurs sont venues jusqu’aux oreilles de la Confédération… »

Il s’arrêta net de fouiller dans ses papiers, et regarda droit dans les yeux la jeune femme, en fronçant les sourcils. Elle s’approchait du but. Elle le sentait.

« - Quels types de rumeurs ? demanda-t-il sévèrement.
- Voyez-vous, un certain nombre de clients nous ont raconté avoir trouvé certains de vos vêtements sur, hum… Des scènes… De crime, en quelque sorte. Des bagarres, des vols, des meurtres, des incendies… Et ce n’était pas les victimes qui les portaient, si vous voyez ce que je veux dire.
- Qu’insinuez-vous par là ?
- Oh, rien du tout… Ils les ont peut-être simplement volés… Mais je voudrais m’assurer, pour ma Confédération à Sillis, que ce ne sont pas certains de vos clients qui fourniraient le grand banditisme… Vous comprenez, pour notre contrat, que nous ne pouvons pas nous lier à n’importe qui… dit-elle, le sourire aux lèvres.
- Mademoiselle, cela suffit ! »

D’un bond soudain, il se leva, le regard en feu, tapant du poing sur la table. La réaction étonna Meria, au point qu’elle en sursauta. Elle ne pensait pas que sa réaction serait aussi violente. Elle s’attendait à le voir perdre un peu ses moyens, mais elle espérait le voir paniquer – ne serait-ce qu’une goutte de sueur, qui le trahirait – plutôt que s’énerver.

« - Notre entreprise entretient une relation saine avec chacun de ses clients ! Je ne vous permets pas de douter de nous, et si la confiance n’est pas de votre côté, je vais vous demander de bien vouloir partir !
- Attendez, ce n’est pas ce que j’ai voulu… »

Il tapa deux fois dans ses mains, et la porte derrière elle s’ouvrit, laissant apparaître un petit homme. Assez trapu, il portait des habits estampillés « T.M.I », d’une grande élégance, mais qui ne semblait pas lui aller du tout. Lui-même ne semblait pas à l’aise dedans. Ses cheveux étaient bien coiffés, ramenés en arrière, à l’exception d’une mèche visiblement rebelle qui lui couvrait son œil droit. Il avait le visage fatigué, de grandes cernes se dessinant sous ses orbites, et trainait un peu des pieds en arrivant dans la pièce.

« - Dauin, veuillez la raccompagner à la sortie, nous n’avons plus rien à nous dire.
- Bien Monsieur, répondit-il d’une faible voix. »

Dauin, Dauin… Elle avait déjà ce nom quelque part, mais où… ? Dans un éclair, une sorte de révélation, cela lui revenait. Dauin ! C’était lui, le compagnon alchimiste de Cadus qui avait disparu le soir de l’incendie. Ainsi il était bien ici, et cette entreprise avait bien quelque chose à cacher, tout comme il s’en doutait. Elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit, car déjà l’alchimiste – si c’était bien lui – l’avait prise par le bras pour l’entraîner en-dehors de la pièce, et la ramener dans les couloirs plein de monde. Elle était un peu surprise par sa force, car elle n’arrivait pas à se défaire de sa poigne, alors qu’il la traînait jusqu’à la porte de sortie, qu’ils traversèrent tous les deux. Il ne la lâcha qu’à ce moment-là, alors qu’ils se trouvaient entre les gardes.

« - Attendez, Dauin… !
- Nous n’avons plus rien à nous dire, Mademoiselle, coupa-t-il, malgré sa faible voix. Veuillez partir. »

Elle voulut rajouter un mot, mais les gardes s’interposèrent entre eux. Elle ne pouvait rien faire ici, rien dire. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’il était là. Sa mission n’était pas un total échec, malgré qu’elle n’avait rien pu soutirer au patron. Elle était persuadée, maintenant, qu’ils avaient quelque chose à se reprocher dans tout cela. Mais comment pourrait-elle en savoir plus ? Dauin refusait de lui parler. Elle ne pouvait pas revenir à l’intérieur, même sous une autre identité. Qui plus est, peut-être était-elle en danger elle aussi, maintenant. Non pas que cela lui faisait peur, elle en avait vu d’autres, mais si elle avait pu l’éviter…

Tout en réfléchissant à cela, elle s’éloignait du grand bâtiment d’où elle venait. Elle se retourna, un peu machinalement, pour vérifier qu’on ne la suivait pas – une vieille habitude -. Elle discerna alors, au loin, une forme, humaine, qui semblait s’éloigner de la porte de l’entreprise. Elle se cacha discrètement dans l’ombre d’un des bâtiments qui était là, et sortit de son sac une petite longue-vue – un équipement indispensable quand on est marin – pour regarder de qui il s’agissait. C’était Dauin. Il ne venait pas dans sa direction, et ne l’avait donc pas remarqué, mais semblait se rendre lui aussi dans le Quartier de la Pierre. La voilà, sa solution. Essayant autant que possible de rester dans l’ombre des bâtiments, et à une bonne distance du scientifique, elle se mit à le suivre.

La filature se poursuivit durant près d’une demi-heure, durant laquelle ils traversèrent une bonne partie du troisième secteur, où elle n’avait aucun mal à se cacher derrière un mur ou un engin, dans l’ombre, pour éviter de se faire repérer par les regards incessants qu’il lançait dans son dos. Puis ils arrivèrent finalement au quatrième secteur, où les cachettes se faisaient un peu plus rares. Elle devait jongler entre les cabanes, les engins qui servaient à creuser une partie des tunnels, et quelques autres gros outils par-ci par-là. Mais, avec une habileté sans faille, et grâce à la bonne distance qu’elle entretenait, elle put le suivre jusqu’à ce qui semblait être sa destination. Une petite entrée de tunnel, devant laquelle deux gardes étaient postés. Elle sortit sa longue-vue pour observer un peu mieux la scène. Elle ne le vit que dire deux-trois mots aux gardes – qu’elle ne pouvait bien sûr pas entendre de là où elle était – qui lui laissèrent le passage, et il disparut comme ça, à l’intérieur. Elle était tentée de le suivre, mais comment pourrait-elle passer ces deux gardes ? Elle avait beau être agile, elle n’était pas capable de miracle. Non, il lui fallait rentrer. Il fallait qu’elle raconte tout cela à Cadus.

Alors que le soleil commençait doucement à descendre, elle reprit donc, discrètement, pour ne pas se faire remarquer, la route vers l’auberge où l’attendait ses deux compagnons, et qu’elle atteignit avant que la nuit ne tombe. Elle s’empressa d’aller les rejoindre dans leur chambre, sans même prendre le temps de frapper. A la vue de la jeune femme qui entrait, les deux hommes eurent un soupir de soulagement.

« - Ouf, te voilà… Je commençais à m’inquiéter de ton absence, lui dit Cadus.
- Je savais que tu allais revenir, c’était obligé ! Cria Yzan en se jetant dans ses bras. »

Elle rattrapa le garçon qui s’était élancé de tout son poids sur elle, et lui caressa doucement les cheveux dans un grand sourire.

« - Et j’ai des informations qui devraient vous intéresser, dit-elle en s’asseyant sur une chaise après que le garçon l’ait lâchée.
- Et bien n’attendons pas, et fais nous part de ce que tu sais, lui répondit l’alchimiste en s’asseyant à son tour. »

Elle leur raconta alors ce qu’elle a vécu durant cet après-midi, dans les moindres détails. Elle expliqua aussi bien comment était faite l’entreprise, à quoi ressemblait le patron, ce qu’elle lui avait évoqué et, bien évidemment, la présence de Dauin et son mystérieux trajet jusqu’à ce tunnel – le seul qu’elle avait vu surveillé par des gardes, qui plus est -.

Au fur et à mesure de son histoire, le regard du scientifique s’assombrissait un peu plus. Ainsi, Dauin était bien là-bas, comme il l’avait pensé pendant un temps. Et, vu ce comment elle l’avait décrit, il ne semblait pas y être de gaieté de cœur. L’hypothèse qu’il se soit battu avec ses ravisseurs et qu’ils l’aient kidnappé était donc probablement la bonne. Mais pourquoi l’avoir emmené ? Ils auraient tout aussi bien pu le laisser brûler dans l’incendie. Et qu’y avait-il dans ce tunnel, dans cette mine, pour qu’il veuille s’y rendre sans se faire remarquer ? La réponse était probablement là-bas, et il n’y avait pas cinquante moyens de le savoir.

« - Bien, je te remercie pour tout ce que tu as fait, Meria. Je ne serais jamais suffisamment reconnaissant, vraiment.
- Et que comptez-vous faire tous les deux, maintenant ? Demanda-t-elle, bien qu’elle se doutait de la réponse.
- Cela me semble évident. Je vais me rendre là où tu as vu Dauin pour la dernière fois. Je vais pénétrer à l’intérieur de cette mine, pour en savoir plus.
- Et comment comptes-tu passer les gardes ? Et s’il y en a d’autres à l’intérieur, que comptes-tu faire ? Et pour ressortir ? C’est bien trop risqué, ne sois pas idiot.
- Pour les gardes, j’ai ce qu’il me faut ici, répondit-il en tapant sur son sac contenant toutes ses fioles. J’arriverais à les passer sans difficulté. Et pour le reste, je me débrouillerais.
- Arrête de dire n’importe quoi, tu ne sais pas ce qui t’attends, tu n’as jamais été confronté à ça ! Laisse-moi y aller, dit-elle en haussant légèrement le ton. Donne-moi tes machins d’alchimiste et c’est bon !
- Non, tu en as déjà trop fait pour nous, je ne peux pas te demander ça. C’est à mon tour. Je dois savoir ce qu’il s’y cache. »

Le regard noir, la jeune femme le fixait, droit dans les yeux. Mais il faisait de même, et il ne semblait pas décider à lâcher prise. C’était un véritable duel de regards qui se jouait entre les deux. Aucun des deux ne voulait lâcher. Chacun voulait montrer qu’il avait raison. Que c’était son idée qu’il fallait suivre. Finalement, dans un soupir de renoncement, Meria détourna les yeux, qui se posèrent sur l’adolescent, assis sur le lit, qui les écoutait depuis tout à l’heure, sans rien dire.

« - Et pour Yzan, que comptes-tu faire ? Demanda-t-elle, le ton sévère.
- Justement, j’aurais besoin de toi pour cela. »

Visiblement intriguée, son regard prit une toute autre tournure, passant de la colère – une sorte de colère en tout cas – au questionnement.

« - Je t’écoute.
- Quand est-ce que part le navire sur lequel tu travailles ?
- Hummm il peut partir dès demain matin normalement. Tous les papiers doivent être faits je présume. Il suffit que le capitaine le sache, répondit-elle avec un léger sourire.
- Très bien, voilà ce que nous allons faire. Maintenant que la nuit est presque entièrement tombée, je vais me rendre, comme convenu – il appuya sur ces termes – à ce tunnel. Pendant ce temps, j’aimerais que tu emmènes Yzan avec toi, jusqu’au bateau. Et, si je ne suis pas là demain matin… J’aimerais que tu partes avec lui, et que tu l’emmènes loin d’ici, en sécurité. »

L’adolescent ne dit rien, se contentant de baisser la tête alors que son ami expliquait sa stratégie. Il savait bien que, dans toute cette histoire, il était plus un poids qu’autre chose, un boulet que l’on traîne avec soi. S’il n’était pas là, ils auraient pu s’y rendre tous les deux, à ce tunnel. Ils n’auraient pas besoin de s’occuper de lui. Il sentait, au fond, que sa présence ne les aidait pas. Et il s’en voulait pour ça.

« - Bien, j’imagine que je peux faire ça, répondit-elle, même si ça ne me plaît pas le moins du monde. Il me faudrait bien dix jours pour te faire changer d’avis, et je ne pense pas que nous ayons autant de temps devant nous.
- Merci, Meria. Je te suis à jamais reconnaissant pour tout ce que tu as fais. »

Tous deux se sourirent mutuellement. Mais, dans son coin, le garçon ne souriait pas, sans qu’ils ne le remarquent. Quelque chose n’allait pas. Il le sentait. Là-bas, quelque chose n’allait pas.


La nuit était maintenant quasiment complète. Tous trois se tenaient là, dehors, non loin de l’auberge où ils étaient quelques minutes auparavant, un peu éloignés des passants qui, comme tout le temps, vagabondaient dans les rues.

« - Tu as bien retenu, c’est bon ? Le bateau s’appelle L’Admirable, sur le quai D, qui donne sur la rue des artistes.
- Ne t’inquiète pas, j’ai bien retenu l’information, répondit-il en souriant. Bien, ne perdons pas plus de temps. Bonne chance à vous.
- Bonne chance à toi. Et surtout, si tu sens que quelque chose ne va pas, ne te pose pas de questions et barre-toi. Si tu le sens pas, cours aussi vite que tu peux. C’est d’accord ?
- Ne t’inquiète pas pour moi, je te l’ai déjà dit. Je ne prendrais pas trop de risque.
- Moi je veux pas que tu y ailles…»

La petite voix d’Yzan, prise au milieu des larmes qui commençaient à monter à ses yeux, résonnait dans la ruelle où ils se trouvaient. Cadus s’approcha doucement de lui, se mettant à genoux pour être à sa hauteur, et le prit délicatement dans ses bras, alors qu’il sentait les larmes couler lentement sur son épaule.

« - Je ferais attention, je te le promets. On va se revoir dès demain matin, d’accord ? »

Le jeune garçon le regarda, hochant doucement la tête de haut en bas, les yeux embrumés par la tristesse qui se faisait de plus en plus grandissante. L’alchimiste lui sourit longuement, comme pour le rassurer, avant de se remettre debout. Tous trois se regardèrent encore quelques instants, sans dire un mot de plus, jusqu’à ce que, d’un signe de tête, le scientifique ne leur dit d’y aller. Prenant le garçon par la main, Meria l’emmena avec elle, disparaissant au loin, dans l’ombre de la nuit. De son côté, Cadus mit sa capuche, qui était accrochée avec sa cape, et partit dans la direction opposée.

Il savait qu’il leur avait menti. Il savait qu’il allait vers un risque beaucoup trop grand pour lui seul.

Mais il n’avait plus le choix.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar KidRanulf » 22 Avr 2017 12:10

Chapitre 6 : Enfer

Les deux gardes étaient toujours là, devant le tunnel, guettant dans la nuit noire des inconnus qui oseraient approcher. Mis à part deux faibles torches qui les éclairaient à peine, il n’y avait aucune source de lumière dans les environs. Des nuages avaient recouvert le ciel et, bien que légers, ils ne laissaient pas place à la lumière des étoiles ou de la lune. C’était un cadre idéal. Cadus n’aurait pas pu demander mieux pour s’approcher facilement de cet antre.

Il avait réussi à s’approcher à un peu plus d’une dizaine de mètre, caché dans l’ombre des divers outils plus ou moins imposants qui s’éparpillaient un peu partout autour. Il n’avait pas encore été repéré, et il était à distance parfaite pour passer à l’action. Il fouilla dans son sac et en sortit une petite fiole remplie d’un liquide vert, ainsi qu’un chiffon qu’il s’accrocha autour du visage, en prenant soin de bien cacher son nez et sa bouche. Il regarda une dernière fois l’emplacement de chaque garde. Il n’avait le droit qu’à un seul essai, car il n’avait qu’une seule fiole de ce type, et il n’était pas question de le louper. Il prit une profonde inspiration et, finalement, jeta la fiole, qui éclata un peu devant les gardes.

Surpris par ce bruit de verre, ceux-ci se rapprochèrent du point d’impact. Quelques secondes après, l’un d’entre eux s’écroula à terre, rapidement suivi par le deuxième. Parfait, tout avait fonctionné. Le liquide contenu dans cette fiole émettait un puissant gaz soporifique, qui allait les laisser dormir pendant quelques longues heures, probablement jusqu’au midi. C’était bien plus que ce dont il avait besoin.
En prenant soin autant que possible de rester dans les ombres, au cas où il y aurait encore des gardes un peu plus loin, car il n’en savait rien, il s’approcha de l’entrée du tunnel. Personne d’autre, à priori. Ils auraient probablement déjà réagi en voyant leurs deux collègues s’effondrer sinon, de toute façon. Sans plus attendre, et après avoir jeté de rapides coups d’œil derrière lui, l’alchimiste pénétra à l’intérieur.

A première vue, c’était une entrée de mine comme toutes les autres. Un long tunnel sombre, car il n’y avait que très peu de torches accrochés au mur, et elles n’éclairaient pas beaucoup, qui donnait naissance en de multiples points à de plus petits couloirs. Probablement un véritable labyrinthe, là-dedans. Et ce n’était pas vraiment le moment de se perdre… A tâtons, il avança le long du tunnel principal –enfin, ce qu’il estimait être le tunnel principal, c’est-à-dire suivre la route sans prendre les intersections. Il n’y avait pas un bruit, pas même un animal, un insecte, quelque chose qui ne daigne donner le moindre signe de vie. A croire qu’ils gardaient une tombe géante.

Il ne savait pas exactement quelle distance il avait parcouru, mais il ne voyait plus la sortie. Et il n’y avait toujours rien. Pas un bruit, pas une personne. C’était de plus en plus douteux. D’autant plus que, malgré la présence de nombreux tunnels collatéraux, ils ne semblaient pas avoir été travaillés pour en arracher un quelconque minerai. Non, au contraire, tout semblait beaucoup trop lisse –enfin, autant que pouvait l’être un tunnel. Il n’y avait pas de traces de filons qu’on aurait exploités par le passé, pas de trace de coups de pioches, bref, c’était beaucoup trop propre pour une mine.

Alors qu’il continuait de s’enfoncer dans le noir qui composait majoritairement ce lieu, quelque chose vint rompre le silence. Des bruits de pas, et des voix, encore assez faibles. Mais qui augmentaient en intensité. « On » se rapprochait. Cet endroit n’était si inhabité que ça finalement. Rapidement, il se cacha dans un des recoins formés par les différents chemins, en priant –bien qu’il ne fut pas croyant- pour qu’ils ne viennent pas trop près de lui. Les bruits de pas se faisaient de plus en plus intenses. Les voix de plus en plus fortes, bien qu’il n’arrivait pas encore à comprendre ce qui se racontait. Jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment proches.

« - C’est au tour de la jeune fille ce soir, c’est bien ça ? »

C’était une voix assez nasillarde qui venait de prononcer ces mots. Une voix d’homme. Impossible de savoir si il était jeune ou vieux, mais c’était un homme. Et lui, ainsi que la ou les personnes qui devaient l’accompagner, n’étaient maintenant plus qu’à quelques mètres, sur le tunnel principal. Ils arrivaient de la direction opposée à là d’où venait l’alchimiste, et la seule chose qu’il espérait, c’était qu’ils ne retournent pas vers la sortie ou, si tel était le cas, qu’ils ne prennent pas la peine de tourner le regard vers les chemins alentours. Il posa sa main sur sa lame. Il n’avait aucune idée de combien ils étaient, de ce comment ils étaient armés, mais il était prêt à se battre en cas de besoin.

« - Oui… Oui Monsieur, répondit une voix beaucoup plus faiblarde. »

Une voix que Cadus reconnut de suite. Dauin. Ainsi donc, il était bien présent ici, comme Meria le lui avait dit. Mais que faisait-il, avec qui se trouvait-il ? Il voulait avoir la réponse à ces questions, mais ce n’était probablement pas le bon moment pour faire une irruption surprise au milieu de leur conversation. Il se terra donc un peu plus contre le mur, essayant de minimiser autant que possible chaque bruit qu’il faisait, y compris sa respiration, qu’il tentait de garder la plus lente possible malgré le stress évident.

« - Alors dans ce cas, ne traînons pas plus, répondit son interlocuteur. Je suis impatient de voir les résultats !»

Et, sur ces mots, ils tournèrent dans un des couloirs mitoyens, avant celui dans lequel se trouvait le scientifique. Après avoir attendu quelques instants de ne plus entendre les bruits de pas, celui-ci poussa un profond soupir de soulagement. Il s’en était fallu de peu. Et maintenant au moins, il était sûr d’une chose, c’est que quelque chose se tramait ici. Ils venaient de parler d’une jeune fille, ils venaient d’évoquer des « résultats »… Se pouvait-il qu’ils menaient là quelques expériences sordides ? Rien que l’idée lui donnait des frissons dans le dos. Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir, encore une fois. Suivre la route qu’ils venaient d’emprunter. Ce qu’il se décida à faire.
Ce chemin-là, contrairement au précédent, n’avait aucune intersection. C’était un simple passage, qui tournait un peu dans tous les sens, et qui donnait l’impression que l’on s’enfonçait de plus en plus profondément sous terre. Impression renforcée par la chaleur, qui se faisait de plus en plus intense. Il était incapable de savoir à quelle profondeur il était, ou à quelle distance il était de la sortie. Et si quelqu’un venait ici, il n’avait aucun endroit où se cacher. Autant dire que le risque venait de se démultiplier. Raison de plus pour adopter une prudence extrême, et d’avancer lentement, en prenant soin d’analyser l’environnement, d’essayer de repérer le moindre petit soin qui pourrait lui indiquer une présence.

Après quelques minutes « d’exploration », il aperçut, au loin, deux entités lumineuses. Un signe de vie. Il s’approcha encore plus lentement qu’avant, voulant rester aussi loin que possible tant que ses yeux n’arrivaient pas à bien distinguer ce dont il en retournait. Il se rendit alors compte que cette lumière provenait de deux torches, posées contre la paroi. Sans qu’il n’y ait qui que ce soit autour. Juste deux torches, là, posées de chaque côté de… d’une porte ?

Il se rapprocha encore plus, jusqu’à pouvoir la toucher de ses propres mains. En effet, c’était bien une porte, là, au milieu de ce tunnel. Et, qui plus est, elle était entrouverte. Il jeta un rapide coup d’œil par la petite ouverture. Personne de l’autre côté, à première vue. Il ouvrit un peu plus la porte, aussi silencieusement que possible, juste de manière à ce qu’il puisse passer de l’autre côté.

L’endroit ne ressemblait plus du tout au tunnel dans lequel il se trouvait un peu avant. En quelques secondes, tout avait changé. Il y avait là de vrais murs, en pierre – ou plutôt une sorte de marbre d’une étrange blancheur d’ailleurs, trouvait-il – et il en était de même pour le sol, qu’il salissait à chaque pas avec la terre collée à ses semelles. A intervalle régulier, des torches étaient posées le long des murs, ne laissant aucune place à l’obscurité ici. Le couloir par lequel il venait d’arriver continuait tout droit, à perte de vue, donnant par-ci par-là des collatérales, ce qui, pour le coup, ne changeait pas beaucoup d’avant. Il était là à l’intérieur d’un véritable bâtiment. Un bâtiment sous-terrain certes – un peu comme une cave, en plus grand et en mieux entretenu -, mais un bâtiment quand même.

Il avança encore plus prudemment qu’avant, s’enfonçant dans les profondeurs de ce nouveau lieu. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, ses pas ne s’entendaient pas, ils ne résonnaient pas. C’était même tout l’inverse, le bruit semblait presque étouffé par le sol. Ce qui voulait dire, d’une part, qu’il pouvait se déplacer en toute discrétion, mais aussi qu’il ne pouvait pas entendre si quelqu’un approchait, ce qui pourrait lui poser de sacrés problèmes. Et, comble de tout, il ne savait absolument pas où aller. Il n’avait pas trop envie de s’enfoncer parmi les multiples couloirs, car il n’y avait aucun moyen de repère. La distance entre chaque torche était exactement la même, ce qui révélait soit un perfectionnisme, soit une folie sous-jacente. Les murs étaient parfaitement lisses, sans le moindre petit accroc qui aurait au moins pu, à défaut de mieux, servir de repère.

Alors qu’il avançait dans cet étrange bâtiment depuis ce qui lui paraissait être de longues minutes, il lui semblait que quelque chose lui venait aux oreilles. Comme un lointain murmure, des paroles chuchotées comme un souffle de vent. Mais il était incapable de le localiser. Tantôt il lui semblait que cela venait de sa droite, tantôt de sa gauche. Il se tournait, se retournait, pour essayer d’en déduire la localisation, mais cela ne faisait qu’empirer les choses. Comme si quelque chose l’empêchait de bien en distinguer la provenance. Il fallait pourtant qu’il le trouve. Il était sûr que c’était là qu’était la clé du mystère. Il sortit de son sac un petit bout de papier, qu’il posa à terre. Le voilà, son point de repère. C’était risqué, si jamais quelqu’un d’autre le trouvait. Mais vu là où il en était, il n’avait plus trop le choix. Il se concentra quelques secondes, essayant de nouveau de déterminer la provenance du bruit, et se lança dans un des couloirs.

Puis dans un autre. Et encore un autre. A droite, à gauche, à gauche, à droite. Il lui semblait que le murmure augmentait de volume. Puis qu’il diminuait. Alors il faisait demi-tour, et prenait un autre chemin. Là, le bruit, il l’entendait mieux. A droite, à gauche. Sa respiration s’accélérait, son rythme cardiaque, son pas aussi. Il le sentait, il y était presque. Non, ce n’était pas le bon chemin. Demi-tour. A droite. Non, il avait déjà pris par là. Demi-tour. Il allait trouver le chemin. Il fallait qu’il le trouve. A gauche. Pourquoi allait-il aussi vite ? Pourquoi était-il aussi stressé ? Il avait réussi à garder son calme jusqu’à présent. Mais là, là, quelque chose l’attirait. Son but était proche. Il allait enfin avoir les réponses. Il allait enfin savoir. A droite. Oui, il y était. Il y était presque. Encore à droite. Ca y est, il la voyait. Là, dans le fond, il y avait une porte. Entrouverte. Il l’entendait, le bruit, il venait de là. Il accéléra un peu plus, ne faisant plus attention à rien. Il y était, là. Il s’arrêta net devant la porte, jetant un coup d’œil. Le… Le tunnel ?

Il n’eut pas le temps de se retourner, car le noir se fit soudainement devant ses yeux, et il tomba à terre.
Il se réveilla, la tête lourde, allongé sur une surface froide. Que venait-il de se passer ? Tout cela n’était qu’il un cauchemar ? Il voulut se passer la main sur le front, mais il se rendit compte qu’il ne pouvait pas. Celles-ci étaient attachées. De même que ses jambes. S’en rendant compte, il ouvrit grand les yeux, comme lorsqu’on se réveille en sursaut, pour apercevoir, penché au-dessus de lui, une tête d’homme, ce qui lui fit pousser un grand cri.

« - Eh bien, eh bien, il vous en a fallu du temps pour vous réveiller. »

Cette voix, il l’avait déjà entendue dans le tunnel. Cette petite voix nasillarde, qui discutait avec Dauin, c’était lui. Un petit homme, maigre, à la calvitie fort prononcé, arborant une élégante moustache et un petit monocle. Et, s’il n’avait pas pu deviner son âge à la voix, et il ne le pouvait pas plus au visuel. Trente, quarante, cinquante ans ? Impossible à savoir, pas comme ça tout du moins. Et pas quand on vient juste de reprendre connaissance.

« - Monsieur Cadus Truns je suppose ? Nous attendions votre visite avec impatience, dit l’homme tout en se reculant un peu.
- … Et vous êtes ?
- Je ne pense pas que cela soit très intéressant, répondit-il en souriant. Mais, je dois vous avouer que vous me décevez. J’espérais que vous viendriez accompagné. D’un jeune adolescent ou d’une charmante jeune femme, par exemple. Yzan et Lynra, c’est bien cela ? »

L’alchimiste fronça les sourcils en entendant ces noms. En évoquant Lynra, il parlait bien sûr de Meria. Il était donc au courant qu’elle était venue à T.M.I plus tôt dans la journée, et qu’elle était avec eux. Mais aussi qu’il ne la connaissait pas avant, car il ne l’aurait jamais appelé ainsi sinon. C’était forcément une des têtes pensantes de la société. Et d’après la description qu’en avait fait la jeune femme, ce n’était pas Irlin. Mais lequel des deux autres ?

« - Ah là là, quel dommage que cet imbécile d’Irlin ne s’en soit pas douté plus tôt et ne l’ait pas fait suivre, ça nous aurait évité bien des problèmes, enfin, surtout à vous, vous ne pensez pas ?
- Très probablement, répondit Cadus après quelques secondes d’hésitation.
- Vous n’êtes pas très bavard vous, non ? C’est dommage, j’aime bien la discussion. Et puis, vous savez, je ne vous en veux pas personnellement. Vous avez juste avec vous quelqu’un qui m’intéresse, et j’ai juste besoin de savoir où il est. Ce n’est pas grand-chose, n’est-ce pas ? »

Le scientifique ne répondit pas tout de suite. Il fallait d’abord essayer d’en savoir un peu plus. Il fallait au moins tenter.

« - Pourquoi vous intéresse-t-il autant ?
- Oh, je ne crois pas que cela vous intéresse, non, vraiment. Ni même que cela vous concerne, d’ailleurs. Non, non, je préférerais que l’on en reste à ma question. Où est-il ? »

Cadus ne répondit toujours pas. Avoir des informations de cette manière aurait sûrement été trop simple, il avait eu un petit peu trop d’espoir. Que pouvait-il faire, maintenant, à part se taire ?

« - Bien, je vois que cette conversation ne nous mène nulle part, dit le petit homme. Si je peux vous inviter à tourner votre regard par ici… »

Tout en disant cela, le petit homme se rendit à l’opposé de la pièce, que l’alchimiste prit le temps de voir pour la première fois. C’était une assez grande pièce et, outre la table sur laquelle il était allongé, on y trouvait des étagères remplis de substances bizarres, des armes et des outils de toutes sortes accrochés au mur, le tout éclairé par des torches et par un grand feu dans une cheminée – dont il se demandait comment la fumée s’évacuait, d’ailleurs. A côté du feu, vers là où se dirigeait l’homme, quelqu’un d’autre se tenait debout, une masse dans la main et un casque sur le visage. A ses côtés, accroché à un piquet, il aperçut… Dauin. Il était là, à genoux, les mains accrochées en hauteur, torse-nu, bâillonné, un foulard sur les yeux. On pouvait voir des larmes couler le long de ses joues alors qu’il gémissait, et son ventre, moins imposant qu’avant d’ailleurs, était couvert de bleus.

« - Bien, je ne pense pas avoir besoin de vous présenter, il me semble que vous vous connaissez bien. Je sais pertinemment, Monsieur Cadus, que vous ne direz rien, malgré les souffrances que l’on pourrait vous infliger. Mais je sais aussi qu’il y a certaines personnes à qui vous détestez que l’on touche… »

Sur ces mots, il fit un petit signe de la main au bourreau – car on pouvait l’appeler comme ça – qui donna un violent coup de massue au niveau du nombril de Dauin, qui, dans un gémissement de douleur, laissa couler encore plus de larmes.

« - Espèce de…
- Allons, allons, gardez votre salive, dit le petit homme en se rapprochant. Je n’aime pas en arriver là, vous savez. Mais vous pouvez tout arrêter. Il suffit d’une information. Une toute petite information. »

Cadus regarda Dauin qui, bien que la tête baissée de douleur, lui faisait signe que non, il ne devait rien dire. Mais il voyait aussi ses larmes, il voyait aussi ses bleus, certains assez anciens d’ailleurs. Il le voyait souffrir, devant lui, mais il ne pouvait rien faire, il ne pouvait rien dire. Il ne devait rien dire.

« - Soit, je vois, on veut jouer les héros… C’est tout à votre honneur. Je me demande juste combien de temps cela va durer, dit l’homme tout en se dirigeant vers la porte. Et personnellement, je n’ai pas toute la nuit à perdre. Bourreau, continuez votre travail, et envoyez quelqu’un me chercher si jamais il se décide à parler. Oh, et déchaînez-vous autant que vous le voulez, nous n’en avons plus besoin de toute façon. »

Sans plus attendre, il ouvrit la porte de la pièce et en sortit en la refermant derrière lui, laissant à peine le temps à Cadus d’apercevoir qu’elle était surveillée par des gardes. Entendant les ordres qu’il venait de recevoir, le bourreau laissa tomber à terre sa masse et se dirigea vers la cheminée pour récupérer une tige en fer qui chauffait dans le feu. Une fois prise en main, il retourna vers sa victime et, pendant un bon moment, appliqua la partie brûlante de son outil à divers endroits du corps de sa victime, dont les gémissements se faisaient de plus en plus violents et distincts. Dans un élan de sadisme, son tortionnaire lui retira le tissu qui lui recouvrait les yeux, et approcha très lentement la barre de métal de son visage, sous le regard apeuré et les pleurs de Dauin qui tentait en vain de se débattre, avant de l’appliquer entre ses deux sourcils durant de très longues secondes. Son ami, attaché à la table, détournait le regard, les larmes – de colère comme de tristesse – coulant à flot sur son visage.

Le bourreau arrêta précipitamment son activité. Quelque chose venait d’attirer son attention, là, en-dehors de la pièce. Les deux scientifiques venaient de l’entendre aussi. On aurait dit un cri, un cri de douleur. Il s’approcha un peu de la porte, quand celle-ci s’ouvrit dans un fracas assourdissant, alors que le corps d’un des gardes effectuait un vol plané à travers la pièce. Dans l’ouverture de la porte, l’alchimiste put l’apercevoir. Cette chevelure blonde, ces yeux verts, ce chapeau… Ils les avaient déjà vus. A Ezahol. Jenith. C’était elle. Exactement la même, à la différence près qu’elle tenait dans ses mains une grande faux.

En voyant cette scène, le tortionnaire se jeta sur elle, prêt à lui donner un violent coup de métal brûlant. Elle para sans difficulté l’assaut avec son arme et donna un violent coup de pied dans le ventre du mastodonte, ce qui le fit reculer de quelques pas et lui coupa le souffle, le mettant à genoux. Deux secondes plus tard, elle était devant lui et, d’un coup sec de sa faux, sépara sa tête de son corps. Le silence se fit dans la salle, alors que les deux scientifiques se regardaient, abasourdis par ce qui venait de se passer. Tout était allé à une vitesse impressionnante. Dans une envolée de gouttelettes d’eau, sa faux disparut de ses mains, et la jeune femme vint défaire les liens qui tenaient captifs Cadus qui, à peine délivré, s’empressa de courir vers son collègue pour lui enlever son bâillon et lui libérer les mains.

« - Dauin, Dauin, ça va ? Dis-moi que ça va, réponds-moi !
- Je suis désolé, je suis désolé, sanglotait l’autre alchimiste. Je voulais pas… J’ai pas eu le choix… Je suis désolé…
- Ce n’est rien, allons, tout est fini, on va s’en sortir, dit Cadus en le serrant contre lui. Ça va aller, ça va aller.
- Loin de moi l’idée de gâcher vos retrouvailles, mais je pense qu’il ne vaut mieux pas traîner ici. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne remarquent ce qui s’est passé ici. »

Le regard et la voix sévère, Jenith se tenait debout derrière eux, une main sur un fourreau à dague qu’elle portait avec elle. Les deux alchimistes se relevèrent, le prisonnier soutenant le torturé.

« - Comment êtes-vous arrivé là ? lui demanda Cadus, l’air suspicieux.
- J’ai perdu votre trace quand vous êtes arrivé à Duban-Lean, lui répondit-elle. Fort heureusement, j’ai réussi à vous retrouver alors que vous vous rendiez dans le tunnel. Mais je vous raconterais tout après, le temps n’est pas à cela. Nous devons rejoindre Yzan et partir aussi vite que possible. Emmenez-moi à lui.
- Attendez, lui dit l’alchimiste. Qui me fait dire que vous n’êtes pas avec eux, et que tout ceci n’est pas un piège ?
- Bon, faites ce que vous voulez, répondit-elle dans un soupir de colère. Personnellement, je ne reste pas là. »

Aussitôt elle leur tourna le dos, se dirigeant vers la sortie. Les deux scientifiques se regardèrent quelques secondes, puis se mirent à la suivre après avoir pris deux lames sur les cadavres des gardes. Dauin boitait un peu, suite à tout ce qu’il avait subi ici, et devait se servir de l’épaule de son collègue pour marcher convenablement. Ils n’avaient pas vraiment d’autres solutions de toute façon, et même si il ne lui faisait pas vraiment confiance, Cadus savait bien que c’était sûrement la meilleure façon de sortir de cet enfer. Ils marchèrent donc, tous les trois, à travers ces innombrables couloirs blancs, Dauin leur indiquant le chemin le plus rapide pour pouvoir atteindre la sortie, de préférence en évitant les gardes qui patrouillaient par endroit.

« - Attendez, leur dit-il soudainement à l’approche d’un carrefour. Il y a autre chose. Il y a la jeune fille, qu’ils voulaient emmener ce soir…
- Nous n’avons pas le temps pour elle, lui répondit sèchement Jenith. J’aimerais voir ce qui se passe ici, mais le plus important c’est d’aller en sécurité.
- C’est la sœur d’Yzan. C’est elle qu’ils veulent emmener. »

Jenith, qui marchait devant, s’arrêta net, murmurant « C’est donc pour ça… ». Elle se retourna vers ses deux compagnons. Cadus la regardait droit dans les yeux, et lui fit un léger signe de tête de haut en bas. Bien évidemment qu’il voulait aller l’aider. C’était aussi pour ça qu’il était là. Pour savoir ce qui était arrivé à sa famille, et il ne comptait pas le laisser tomber ici.

« - Soit, j’imagine que je n’y échapperais pas, dit la jeune femme. Indique nous le chemin vers là où elle doit être. Et dépêchons-nous. »

Il acquiesça et tous trois changèrent de direction, se mettant en route pour aller aider la sœur de leur protégé. Après deux ou trois minutes dans les couloirs, Dauin les arrêta de nouveau au niveau d’un carrefour, et passa discrètement la tête pour observer la voie qu’il souhaitait prendre.

« - Bon, la porte menant là où elle se trouve est dans ce couloir normalement, murmura-t-il. Il n’y a pas de gardes ici, mais il y en aura sûrement à l’intérieur.
- Si il y a le moindre grabuge, je m’en occupe, répondit Jenith. »

Tout en disant cela, elle tendit sa main droite en avant et, dans un nouvel éclat de gouttelettes d’eau, la faux qu’elle portait tout à l’heure réapparut. Elle l’accrocha dans son dos, avant de faire signe à ses compagnons de la suivre.

« - Ainsi, vous maniez la magie… Lui chuchota Cadus.
- Beau sens de l’observation, bravo, lui répondit-elle ironiquement, alors qu’elle ouvrait avec la plus grande prudence la porte. On en discutera plus tard si ça ne vous dérange pas. »

Après avoir vérifié qu’il n’y avait personne derrière, tous trois pénètrent à l’intérieur de cette nouvelle pièce. C’était en fait un autre couloir, unique et droit, beaucoup plus sombre que le précédent. Les murs étaient d’un noir profond, et il n’y avait que très peu de torche pour éclairer. En avançant un peu, ils se rendirent compte qu’ils se trouvaient en fait sur un pont, surplombant une immensité obscure où l’on pouvait apercevoir un ou deux points lumineux. Ils continuèrent d’avancer, discrètement, jusqu’à atteindre la porte située de l’autre côté et entrouverte. Après que la jeune femme ait jeté un rapide coup d’œil au travers, ils rentrèrent à l’intérieur de cette nouvelle pièce.
Ils arrivèrent dans une immense salle, bien plus grande que celles qu’ils avaient pu voir jusque-là. L’obscurité totale avait laissé place à une sorte de pénombre glauque. Partout dans la pièce, de grands bacs transparents, fermés en haut, étaient éclairés par des torches. A l’intérieur, une sorte de liquide bizarre – un mélange entre du liquide et du gel – contenait… des corps humains. De multiples corps, de tout âge, de toute taille, de tout sexe, nus, étaient entreposés à l’intérieur de ces gigantesques bacs. En voyant cela, Cadus s’approcha de l’un d’entre eux. Il y avait un petit panneau devant, indiquant « Sujets n°239, 240, 241. Saignée et remplacement par du Birzuth. Tentative d’extraction : échec. ». Les corps, à l’intérieur, étaient totalement défigurés. Ils étaient tellement maigres que l’on pouvait voir les os sans aucun souci, la peau n’en était réduite qu’à son strict minimum. Et dans tous les bacs, c’était la même chose. Des corps, toujours. Les inscriptions sur les panneaux variaient. Certains étaient mutilés, certains étaient presque intacts.

« - Bordel, c’est quoi ce délire… dit l’alchimiste. Dauin, qu’est-ce que c’est que ça ? Il faut les sortir de là !
- On peut rien faire, Cadus, répondit-il. Ils… Ils ne sont plus parmi nous. »

Cadus le regarda, les yeux en feu. A quoi rimait tout cela ? Qu’est-ce qu’il avait fait ici, qu’est-ce qu’il c’était passé ? Dans un élan de colère, il s’apprêtait à prendre par le col son compagnon pour lui demander des explications, mais Jenith les prit tous les deux par le bras, les entraînant un peu plus loin, cachés dans l’ombre. Plus loin, une porte venait de s’ouvrir, laissant s’échapper un mince filet de lumière. Deux gardes en sortirent, retournant en direction du pont.

« - Eh bien, elle nous aura donné du mal celle-là, dit l’un d’entre eux. J’ai cru qu’elle allait me péter une veine avec ses dents !
- Ah ça, tu l’as dit, lui répondit l’autre. Une coriace. Enfin maintenant, c’est à eux de s’en occuper, nous on retourne tranquillement surveiller notre porte… »

Leur conversation ne dura pas plus longtemps car, alors qu’ils passaient tout près sans la voir, Jenith se plaça derrière eux et, d’un unique coup de faux, leur trancha la tête à tous les deux.

« - Les explications attendront, dit-elle à l’égard de ses compagnons. Il n’y a pas de temps à perdre, on récupère la fille et on se barre. »

Ils s’approchèrent de la porte d’où venaient les gardes, qui n’était pas totalement fermée. Discrètement, ils purent observer la situation à l’intérieur de la pièce. C’était une assez grande salle, bien que nettement plus petite que celle où ils se trouvaient actuellement. Quelques étagères et autres meubles avec de nombreux tiroirs se tenaient contre les murs, ainsi que des tables sur lesquelles étaient entreposés divers outils – des seringues notamment-. Au centre, trois tables en métal, assez semblable à celle sur laquelle avait été attaché Cadus auparavant. Sur celle du milieu, une jeune fille était attachée. Autour d’elle, il y avait deux gardes, armés chacun d’une lance et avec une épée attachée à la taille, ainsi qu’un autre homme, plus grand, portant un tablier blanc qui lui arrivait jusqu’aux pieds.

« - Qui est-il ? demanda la faucheuse à Dauin.
- Il s’appelle Bothod, répondit-il. C’est un membre du Cercle, il est arrivé ici il y a deux jours.
- Sa survie est-elle nécessaire ?
- Absolument pas.
- Tant mieux, dit-elle avec un sourire carnassier assez dérangeant. »

Le dénommé Bothod s’approcha de la jeune fille, installant à côté d’elle une sorte de poche, accrochée en hauteur à une tige de métal et remplie d’un liquide jaunâtre. La sœur d’Yzan essayait de se débattre, mais les liens qui la maintenaient étaient bien trop serrés pour qu’elle ne puisse esquisser le moindre mouvement, et le bâillon sur sa bouche ne permettait pas d’entendre ses cris.

Jenith ferma les yeux l’espace de deux secondes, fronçant les sourcils comme si elle se concentrait sur quelque chose. Dans le même temps, le liquide à l’intérieur de la poche se mit à bouger un peu plus que la normale, sous l’œil surpris du membre du Cercle qui s’occupait de l’opération. Un bruit sourd résonna dans la pièce alors que la poche éclata, libérant le liquide qui, stationnant dans les airs, se projeta sur le visage du scientifique. Celui-ci, apeuré, tenta de l’enlever, mais c’était mission impossible. Le liquide restait là, sur lui, bouchant ses orifices respiratoires. Les gardes s’élancèrent vers lui, essayant à leur tour de retirer cette substance, en vain. Bothod s’écroula à terre, asphyxié, les mains sur le visage.

Le liquide repartit alors dans les airs et prit la forme d’une très fine flèche qui alla se planter dans la gorge de l’un des gardes, lui ouvrant la carotide. Il tomba à son tour, son sang s’écoulant sur le sol, dans un ultime râle d’agonie. Le deuxième garde, prit de panique, se mit alors à courir vers la porte aussi vite que possible. Jenith l’attendait là, faux à la main et, avant qu’il ne put comprendre la situation, elle le découpa en deux au niveau de la hanche. Cadus pénétra à son tour dans la pièce, courant vers la jeune fille attachée pour lui défaire ses liens et son bâillon.

« - Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi est-ce que vous… demanda-t-elle, apeurée par ce qu’elle venait de voir.
- On est là pour vous aider, lui répondit le scientifique. Nous sommes des amis d’Yzan. Nous allons vous conduire à lui.
- Yzan ? Vous connaissez mon frère ? Où est-il ? »

Elle se leva de la table, se tenant face à l’alchimiste. C’était une belle jeune fille, qui ne devait probablement même pas avoir vingt ans. Elle avait de longs cheveux bruns, la même couleur que ceux de son frère, qui tombait jusqu’à la moitié de son dos. Sa peau, un peu bronzée, mettait en valeur ses grands yeux noisette. Elle n’était pas très grande – à peine plus que Dauin – et on sentait que sa captivité ici avait altéré son poids, malgré qu’elle avait encore des formes assez en chair.

« - Il nous attend ailleurs, en sécurité, répondit Cadus tout en la prenant par le bras pour l’emmener. Nous devons partir le plus vite possible, avant qu’ils ne remarquent quoi que ce soit.
- Attendez, cria-t-elle. Mes parents, ils doivent être par ici. Ils les ont emmené il y a deux jours, ils ne doivent pas être loin… »

Cadus regarda son collègue, qui baissa les yeux. Le silence se fit, pesant, entre les quatre. Personne n’osait le briser, et tous savait ce qu’il signifiait. Il n’y avait plus rien à faire. Il fallait juste partir, aussi vite que possible. Avant qu’ils ne les retrouvent, et qu’ils ne subissent le même sort.

« - Il y a une autre sortie par ici, dit Dauin. Une vieille sortie qui ne sert plus, juste au cas où, en cas d’urgence. Elle doit être cachée derrière une de ces étagères… »

Sans plus attendre, chacun se mit à déplacer les meubles et, très rapidement, ils trouvèrent le chemin que venait d’évoquer le scientifique. C’était un tunnel sombre, comme celui qu’il y avait dans l’entrée de cet antre. Sans aucune hésitation, ils pénétrèrent à l’intérieur, essayant tant bien que mal au passage de remettre l’étagère à sa place pour sa camoufler autant que possible. Durant quelques minutes, ils traversèrent les ténèbres qui régnaient ici, sans aucune source lumineuse pour se repérer, ne pouvant utiliser que leurs mains pour se guider. Au loin, finalement, ils aperçurent la lumière extérieure. Cette lumière qu’ils n’avaient pas vue depuis maintenant plusieurs heures pour Cadus, et probablement plusieurs jours pour la sœur d’Yzan. Après avoir vérifié que personne ne les attendait à la sortie – ce qui n’était pas le cas, celle-ci n’étant plus empruntée en temps normal -, Jenith fit signe à ses compagnons de route de se dépêcher.

Ils arrivèrent à l’autre bout du quatrième secteur, par un tout petit passage camouflé entre deux énormes entrées de mines et caché derrière un tas de caisses et de wagons de mine. Les nuages avaient disparu, et le ciel clair laissait entrevoir un début d’aube. D’ici deux heures, grand maximum, le soleil éclairerait de toute son énergie la ville. Et le bateau partirait. Sans laisser le temps aux autres de souffler, Cadus passa devant pour guider le petit groupe jusqu’au point de rendez-vous qu’il avait fixé avec Meria la veille.

L’allée des artistes. Le Quai D. C’est bon, ils y étaient. Ils étaient arrivés. Ils avaient couru, ils s’étaient retourné de multiples fois, de peur qu’ils soient suivis. Mais non, il n’y avait personne. Il n’y avait qu’eux, assez étrangement trouvaient-ils. Mais qu’importe, ils étaient arrivés, ils étaient là, devant le bateau, l’Admirable. Un grand navire, à trois mâts, assez impressionnant – même si il faisait partie des plus petits du port, ce qui en disait long sur la richesse de ceux qui venaient ici. Deux marins attendaient devant, alors que les premiers rayons du soleil éclairaient les environs.

« - Je, hum… Je suis Cadus, euh… Une certaine Meria m’a donné rendez-vous ici, dit-il à l’un des deux marins. »

Les deux se regardèrent quelques secondes, et l’un d’entre eux leur fit signe de le suivre. Ils montèrent sur le bateau, alors que l’ensemble des marins présents sur le pont les regardait avec curiosité, pour se rendre jusque dans une des cabines où les fit rentrer le marin.

« - Capitaine, ils sont arrivés, dit-il avant de se retirer. »

Assis devant son bureau, sur lequel trônait une carte du continent, Meria se leva alors qu’ils rentraient dans la cabine, accompagnée d’Yzan. Celui-ci, en voyant arriver sa sœur, ouvrit de grands yeux et s’élança vers elle, se jetant dans ses bras.

« - Yelle ! Yelle, tu es là ! Yelle ! »

Celle-ci, ne sachant que dire, resserra son étreinte autour de lui, et tous deux versèrent des larmes, des larmes de joie, des larmes de réconfort.

« - Vous devez être exténué, dit Meria en s’approchant du groupe. Prenez le temps de vous reposer ici, je vais m’occuper de tout. Nous allons bientôt partir, loin de cette ville. »

Avant qu’ils ne puissent dire quoi que ce soit, avant qu’ils ne puissent poser la moindre question, elle sortit de la cabine en refermant la porte derrière elle, les laissant tous à l’intérieur. Sans trop savoir que faire, mais alors que la fatigue arrivait et que l’adrénaline retombait, Cadus marcha, un peu comme un zombie, vers un hamac présent là et, sans entendre ni voir ce qui se passait autour de lui, perdu dans son monde, il tomba dans les profondeurs du sommeil.
KidRanulf
Concis
Concis
 
Messages: 8
Enregistré le: 15 Jan 2017 21:05
Haut

  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Twitter

Re: Prémices d'un futur [Explicite]

Messagepar Marina68 » 24 Déc 2017 17:08

KidRanulf a écrit:[Bonjour à tous! Avant toute chose, je tiens à expliquer un peu ce projet. C'est donc une histoire d'héroïc-fantasy, que j'ai commencée il y a quelques mois, et qui comporte pour l'instant 12 chapitres. Pour être tout à fait franc, la plupart des chapitres sont du "premier jet" donc il peut subsister quelques fautes, répétitions etc. De plus, les premiers chapitres ne sont, à mon sens, pas les mieux écrits, notamment au niveau du point de vue. Néanmoins je les laisse comme tel à l'heure actuelle, car c'est aussi important pour moi de voir comment je me suis amélioré tout du long (et que j'ai un peu la flemme de les réécrire maintenant aussi). Bref voilà, sachez aussi que j'ai peu de temps pour écrire donc ça n'avance pas trop à l'heure actuelle. Voilà, en espérant que ça vous plaise, je ne vais pas vous mettre les 12 chapitres d'un coup, mais voilà le premier!]

Chapitre 1 : Jeune homme

« - Venez goûter mes légumes ! Venez goûter mes fruits !
- Du bon poisson frais, venez venez !
- Des objets de collection, des antiquités de l’ère ancienne, n’hésitez plus ! »

Des phrases d’accroches, aussi multiples que variées, étaient lancées à tout va au milieu du brouhaha qui animait la place centrale de ce petit village. C’était sous un magnifique ciel bleu, avec un soleil plus resplendissant que jamais, qu’avait lieu, comme tous les quinze jours, le marché du village d’Urtah. C’était certes un village de taille modeste, mais il attirait des foules impressionnantes lors de ces journées. Sous les grands arbres plantés au milieu de la place, de nombreux commerçants et artisans étaient présents pour vendre leurs produits. On trouvait là un boucher, ici un forgeron ou un menuisier, et on pouvait même parfois espérer croiser la jeune fleuriste venue tout droit de la « grande ville », comme les habitants l’appelaient.

Elle était présente ce jour-là, et on pouvait sans conteste dire que c’était elle qui attirait le plus de foules. Non pas seulement pour sa beauté, mais aussi et surtout pour celle de ses fleurs. On pouvait y trouver toutes sortes de plantes, parfois exotiques, et tout le monde voulait avoir la sienne pour pouvoir l’exposer devant chez lui, pour montrer à son voisin qu’il avait réussi à en obtenir une. Parmi sa collection, il y avait de magnifiques fleurs à la fois rouges et bleues venues des Îles du Sud, une grande plante jaune avec un nombre incalculable de pétales en provenance de la lointaine souveraineté de Sillis, et toutes sortes de petites fleurs roses venues des quatre coins du monde.

Il faut dire que pour cette petite bourgade située quasiment au centre du grand empire d’Irmald, il n’était pas courant de voir des produits venus d’aussi loin. Rare étaient ceux qui avaient les moyens de pouvoir se rendre jusqu’à la capitale, située plus à l’est du pays, à deux ou trois bonnes semaines de cheval, pour y ramener des produits exotiques, et plus rare encore ceux qui allaient à Malarth, le grand port de l’est, carrefour de nombreux commerces avec les autres pays. Ce n’était donc pas étonnant si, à chaque fois que cette jeune fleuriste venait, c’était un petit évènement pour les habitants. Elle le savait et, même si sa présence se faisait de plus en plus rare, elle aimait pouvoir profiter de ces quelques instants.

« - Excusez-moi ? »

Perdue dans ses pensées, la jeune fille, une magnifique fleur orange dans ses cheveux bruns, releva la tête vers la voix qui venait de l’interpeller. C’était un homme, entre vingt et trente ans, qui se tenait devant elle. Assez grand, pas bien gros, il avait des cheveux châtains bien coiffés et un visage qui lui était familier. Il portait une courte cape marron, une sorte de tunique avec un pantalon assez chic, sans non plus être ostentatoire, et des chaussures qui, pour le coup, n’allaient pas avec le reste, car elles n’étaient plus en très bon état. A sa ceinture, il y avait deux ou trois fioles remplies chacune d’un liquide visiblement différent, ainsi qu’un petit sac qui semblait bien chargé. Ses petits yeux verts se plongeaient dans le regard de la vendeuse, qui continuait de l’observer, persuadée qu’elle l’avait déjà vu.

« - Excusez-moi ? Est-ce que vous avez les graines de Fleur d’Ethram ? »

De nouveau perdue dans ses pensées, elle sursauta en entendant la question, avant de reprendre son sourire et son air calme habituel.

« - Ah, vous êtes le monsieur de l’autre fois, je me souviens de vous, se mit-elle à dire, souriante. Je suis désolée, mais mon fournisseur n’a pas réussi à en trouver… C’est que c’est une plante rare, vous savez !
- Oh, je vois, répondit le jeune homme avec une pointe de déception dans ses paroles. Dans ce cas, je ne vais pas vous gêner plus longtemps. Merci quand même. »

Sur ces mots, il la salua et repartit comme il était venu. Elle continua de l’observer quelques instants, avant qu’il ne se perde totalement au milieu de la foule, et qu’elle se fit apostropher par un autre client, visiblement désireux de savoir combien pouvait valoir une magnifique fleur violette.

Le jeune homme continua son chemin, quittant la place centrale et ses étals pour se perdre dans les quelques ruelles du village, au milieu de grandes maisons aux balcons fleuris. Il semblait que tout le monde, par ici, vivait dans un certain confort. Il n’y avait pas une seule maison délabrée, les rues étaient propres, et personne ne semblait se plaindre. Bien que perdu au milieu de nulle part, il y faisait bon vivre. Par moment, il pouvait voir à leurs fenêtres des personnes âgées profitant du soleil de la journée, de jeunes couples s’embrassant sur les balcons ou des enfants jouer avec un ballon en peau dans les rues. A aucun moment, cependant, il ne se laissait distraire, continuant son chemin jusqu’à arriver devant un bâtiment un peu plus grand que les autres, à la sortie d’Urtah. Visiblement, c’était une sorte d’auberge, avec quelques chevaux à l’extérieur. Il ne prit pas la peine d’aller à l’intérieur et, sous le regard du propriétaire de l’établissement, monta sur le cheval qui était probablement le sien, avant de sortir du village en saluant le gérant.

Urtah avait, contrairement à beaucoup d’autres villages du pays, non seulement la chance d’en être au centre, mais d’être aussi un des points de séparation entre les grandes plaines de l’est et les innombrables hectares de forêt qui peuplaient le centre de l’empire. Celui-ci était situé au sud/sud-est de l’espèce d’énorme croissant, même si il n’était pas de forme parfaite, formant le continent d’Emeris. Il avait ainsi la chance de profiter de la quasi-totalité des côtes du Sud, les quelques portions restantes appartenant à son voisin et rival Aernast. La partie est du pays, la plus peuplée, comprenait notamment plusieurs grands ports, mais aussi et surtout Herzol, la capitale impériale. Le centre du pays, lui, était en grande majorité composé de forêts luxuriantes avec de petits villages, alors que le sud contenait principalement des plages de rochers et de gigantesques falaises, avec quelques grandes villes. Plus à l’ouest, à la frontière avec le Royaume d’Aernast, c’était de grandes montagnes qui prédominaient, très peu habitées. Ainsi, une bonne partie des personnages voyageant depuis l’est de pays passaient par Urtah, ce qui lui avait valu une faible mais néanmoins existante notoriété.

Cependant, sur son cheval, le jeune homme prenait la direction de l’ouest, et commença à s’enfoncer un peu dans les bois alentours. Toutes les forêts du centre du pays étaient en fait plus ou moins rassemblées pour former un tout, un continuum d’arbres, ajoutant de la grandeur à l’ensemble. Cela donnait au final une magnifique forêt, très éclairée et avec de gigantesques arbres qui, pour la plupart, devaient bien avoir plusieurs centaines d’années d’existence derrière eux. On pouvait aussi y trouver de nombreuses fleurs, buissons et plantes diverses faisant la joie de tous ceux désireux d’en étudier les propriétés. La faune n’était pas en reste, car si l’on pouvait croiser des sangliers, écureuils, insectes, oiseaux et autres animaux divers et variés, comme dans la plupart des forêts, il se pouvait parfois, si la chance vous souriait, que vous y croisiez des espèces plus rares, et certains racontaient même que des esprits pouvaient parfois s’y promener…

Il continua sa route, la connaissant vraisemblablement très bien, durant quatre bonnes heures, s’arrêtant juste parfois pour ramasser une plante et la ranger dans son sac. Il arriva finalement dans une petite clairière, au sein de laquelle se trouvait une maison de bois qui, sans être imposante, était tout de même grande. Au vu des fenêtres, elle possédait vraisemblablement deux étages. Un balcon se profilait en haut de la maison, et le toit, plat, était recouvert de divers végétaux qui, pour certains, retombaient sur les murs avec une grâce certaine. De la fumée grise s’échappait de la cheminée, et une douce odeur arrivait aux narines du jeune homme et de sa monture. A côté de la maison, on pouvait notamment trouver un puits, un petit cabanon assez rustique, ainsi qu’un enclos dans lequel se tenait déjà un cheval. Au milieu de la clairière, devant la maison, un immense arbre, plus grand que ceux qu’il avait pu voir sur son chemin, se dressait et des centaines, voire des milliers de fleurs l’arboraient.
En arrivant ici, un léger sourire se forma sur son visage. Il alla déposer son cheval dans l’enclos, l’attachant avec précaution et lui caressant doucement la face, avant de se rendre à l’intérieur du bâtiment.

L’entrée donnait directement sur une grande pièce, unique. D’un côté, on pouvait y distinguer une sorte de cuisine, avec une cheminée à l’intérieur de laquelle une casserole était suspendue à une barre horizontale, divers rangements ainsi qu’une petite table, ne pouvant probablement pas accueillir plus de trois ou quatre personnes en même temps. Tout y était parfaitement bien rangé, chaque couvert, chaque chaise était à sa place, à l’inverse de l’autre côté de la pièce. On pouvait y voir quelques fauteuils sur lesquels traînait de la paperasse, de nombreuses bibliothèques avec des livres un peu dans tous les sens, ainsi qu’une immense horloge. En face de lui, un escalier circulaire permettait d’accéder aux étages supérieurs. Du côté de la cuisine, un peu à côté des rangements, une trappe laissait penser qu’il y avait aussi probablement des sous-sols.

« -Cadus ? C’est toi ? »

La voix provenait de l’étage supérieur, résonnant dans l’escalier. Le jeune homme n’eut pas le temps de répondre que, déjà, des bruits de pas se faisaient entendre et qu’un autre homme arrivait dans la pièce en descendant rapidement les marches. Plus petit, plus trapu, visiblement un poil plus âgé (probablement proche de 35 ans) son style contrastait presque totalement avec celui du dénommé Cadus. Il portait un tablier couvert de taches assez colorées pour la plupart et, en-dessous, un vieil haut déchiré et un pantalon un peu trop long, couvrant presque entièrement ses pieds. Ses cheveux étaient aussi beaucoup plus décoiffés, et une mèche un peu trop longue cachait son œil droit, marron. Il avait dans les poches de son tablier quelques plantes qui dépassaient, et on pouvait voir qu’il avait lui aussi à sa ceinture diverses fioles. En arrivant dans la pièce, un large sourire éclaira son visage.

« - Ah, Cadus ! Alors dis-moi, est-ce que tu l’as ? Demanda-t-il avec une certaine excitation dans la voix. »

Cadus le regarda, visiblement un peu dépité et, tout en posant sa cape sur l’un des fauteuils présents et en retirant ses chaussures, lui répondit d’une voix calme et posée.

« -Hélas non, Dauin. La marchande n’avait toujours pas de graines des fleurs d’Ethram. J’ai bien peur que notre fiole de Panacée ne soit pas encore prête aujourd’hui.
-Oh… C’est le seul ingrédient qui nous manque… soupira Dauin, perdant son grand sourire.»
Attristé, il remonta lentement l’escalier, suivi par Cadus. Ce dernier s’arrêta au premier étage, pendant que son compagnon continua vers l’étage le plus haut de la maison.

Ce premier étage était particulièrement rempli, tellement qu’il ne semblait n’avoir aucun ordre apparent. On pouvait observer trois grands alambics, dont deux étaient en fonctionnement, et quatre plus petits qui n’étaient pour leur part pas chauffés. Entre ceux-ci, là où il y avait de la place, de grandes étagères se dressaient, contenant des livres, des plantes, des parties animales ou différentes roches. Il y avait aussi une ou deux marmites posées sur des trépieds, au-dessous desquels un léger feu était allumé, piégé dans un cercle en pierre. Par terre, un peu partout ailleurs, il y avait des feuilles sur lesquelles étaient écrites de complexes formules qui trainaient. En entrant dans la pièce, Cadus prit un des tabliers accrochés, alla éteindre un des feux fonctionnant sous les alambics et s’approcha d’une des deux marmites, brassant lentement le liquide à l’intérieur à l’aide d’une grande louche, avant que Dauin ne revienne.

« - Qu’est-ce qu’on va dire au Cercle ? demanda-t-il, inquiet. On devait leur exposer notre grande découverte dans moins d’un mois…
- Eh bien on va repousser l’échéance, répondit le jeune homme en haussant les épaules. On s’est sûrement un peu précipité en annonçant notre découverte.
-Ils vont encore dire que nous ne sommes que des alchimistes de campagne… »
Soupirant profondément, le petit alchimiste s’approcha à son tour de la marmite. Il murmura quelque chose comme « Il ne manque que ça… », puis alla chercher un livre dans une des étagères et retourna de nouveau à l’étage supérieur.

Après deux ou trois heures passées à s’occuper des mélanges présents dans tous les contenants de la pièce, l’alchimiste éteignit tous les feux, posa son tablier là où il l’avait pris, et sortit.

La nuit était maintenant tombée. Fraîche mais claire, elle laissait apercevoir la lune, pleine, et les multiples étoiles présentes à travers l’immensité du ciel. Un léger vent soufflait, transportant avec lui quelques feuilles et fleurs provenant de la forêt voisine. Cadus s’allongea par terre et, pendant quelques instants, ferma les yeux, soupirant un peu par moment.

« - A quoi penses-tu ? »
Rouvrant les yeux, il aperçut à côté de lui Dauin, qu’il n’avait pas entendu arriver, visiblement trop perdu dans ses pensées pour cela.
« -J’espère juste que notre recette est bonne. J’ai envie de présenter une vraie découverte. Qu’ils arrêtent de nous considérer comme de piètres alchimistes.
-On a vérifié plein de fois. Il n’y a pas d’erreurs normalement, répondit l’autre alchimiste en s’asseyant à ses côtés. Mais tu les connais comme moi. Ils se croient plus forts que tout car ils bossent pour l’Empire. Ils me font un peu peur parfois… »

Le jeune alchimiste sourit un peu en entendant cette réponse, mais ne répliqua rien. Il se contenta de continuer à regarder le ciel plein d’étoiles, tout en sentant le vent frais sur son visage. Après quelques minutes passées ainsi, l’un à côté de l’autre, sans rien se dire, il se leva finalement et repartit à l’intérieur. Il gravit les escaliers jusqu’au deuxième étage, au sein duquel se trouvait une pièce beaucoup plus simple et beaucoup moins remplie que la précédente. En effet, elle ne contenait que deux lits simples, chacun à un bout de la pièce, ainsi que deux commodes et une étagère. Il se déshabilla, enfila une tenue plus simple et, sans plus attendre, éteignit la bougie qui éclairait la pièce avant de se coucher.

Un bruit sourd le réveilla en sursaut le lendemain matin. On aurait dit que quelque chose venait de taper fortement contre la maison. Il regarda vivement autour de lui, mais n’aperçut rien d’autre que son collègue qui dormait. Il se leva doucement, pensant que tout ceci n’était peut-être qu’un rêve, mais le bruit se fit entendre. une nouvelle fois. On tapait contre la porte, assez fortement. Et, ce coup-ci, il entendit aussi une voix qui criait.

« -Ouvrez vite, s’il vous plaît ! »

Sans plus attendre, et bien qu’ayant l’esprit encore un peu embrumé, il se précipita dans l’escalier pour descendre jusqu’au rez-de-chaussée et ouvrit la porte d’entrée. A l’extérieur, une jeune femme et un homme attendaient. L’homme portait dans ses bras un garçon, un adolescent yeux fermés.

« -S’il vous plaît, vous devez nous aider, se mit à crier la femme. On vient de Datre, et on l’a trouvé ce matin évanoui à l’entrée du village… Vous devez faire quelque chose ! »
Sans répondre, l’alchimiste regarda l’adolescent, puis le prit avec lui avant de l’emmener à l’intérieur, suivi par les deux autres personnes. Il le posa délicatement dans un fauteuil, passa sa main sur son front, puis se mit à crier fortement.
« - Dauin, réveille-toi ! Et ramène une fiole de concentré de Kaliom ! »

Un bruit sourd se fit entendre deux étages au-dessus et, en attendant qu’il descende, Cadus observa avec attention le garçon, à la recherche d’éventuelles traces. Il avait de courts cheveux bruns, et son visage avait encore les traits fins du début de l’adolescence. Il portait pour seul habit un haut à manche courte, déchiré mais qui devait vraisemblablement être chic initialement, et un pantalon court. Autour du cou, il avait aussi un collier avec au bout un symbole en or représentant deux éclairs. Sur son poignet gauche, un symbole inscrit représentait deux gouttes opposées à l’horizontale. Un peu partout sur son bras et ses jambes, on pouvait apercevoir des cicatrices et des traces de griffures. Sa respiration était haletante.

« - Où l’avez-vous trouvé exactement ? Demanda l’alchimiste aux deux personnes présentes.
- A l’entrée du village, à l’ouest. Il a dû arriver durant la nuit, car personne n’a rien aperçu hier soir, répondit l’homme.
- Vous n’aviez personne qui surveillait ?
- Non. On est un petit village tranquille vous savez. Nous n’avons que deux gardes, et ils doivent se relayer entre Datre et Aikah. Ils n’étaient pas là cette nuit. »

Cadus soupira un peu, mais avant d’avoir pu dire quoique ce soit de plus, Dauin déboula dans la pièce, un peu essoufflé, avec une fiole remplit d’un liquide vert peu engageant. Il l’apporta rapidement à son confrère qui lui prit des mains et en fit avaler presque la moitié au garçon. Il attendit quelques instants, puis rendit la fiole et se leva en direction des deux autres.

« - Bien, j’espère que ça fera l’affaire. Nous allons le surveiller, mais je pense qu’il s’en remettra. Nous vous préviendrons dès qu’il ira mieux. »

Soupirant de soulagement, ils sortirent de la maison, accompagnés par Cadus, montèrent sur les chevaux grâce auxquels ils étaient arrivés et repartirent en direction de Datre, petit village situé dans la forêt, à un peu plus d’une heure de la demeure des alchimistes. Fermant la porte derrière lui, l’alchimiste se fit aussitôt apostropher par son collègue.

« - Qu’est-ce qui se passe ? C’était qui eux ? Et lui ? Demanda-t-il en montrant l’adolescent du doigt.
- Ils l’ont trouvé ce matin évanoui aux portes de leur village. Et vu que nous sommes les alchimistes les plus proches… Mais viens voir ça plutôt. »

Lui faisant signe de s’approcher de la personne évanouie, il lui montra le signe qu’il avait sur le poignet gauche. Dauin ouvrit de grands yeux, et, après quelques instants où il sembla réfléchir, réussit finalement à exprimer ce qu’il pensait.
« - Un membre du Culte de Fae’orn ? Mais… Je croyais que leurs villages étaient situés à l’ouest de l’Empire, dans les montagnes…
- Précisément. A plusieurs jours d’ici… Je ne sais pas ce qu’il fait là, mais ce n’est probablement pas pour cueillir des champignons. Il nous dira sûrement ça à son réveil. »

La respiration du jeune garçon était devenue plus calme, plus régulière. Il semblait se remettre petit à petit. Durant la journée et la nuit suivante, Dauin et Cadus se relayèrent pour le surveiller, lui donnant de temps à autre des liquides plus ou moins étranges, surveillant sa respiration et son rythme cardiaque, étalant des sortes d’onguents sur les plaies encore un peu ouvertes qu’il avait.
Au petit matin, alors que les rayons du soleil commençaient tout juste à traverser les fenêtres, le jeune garçon commença à doucement ouvrir les yeux, sous le regard observateur de Cadus. Il se passa une main sur le front et, semblant finalement se réveiller complètement, sursauta un peu sur le fauteuil et tourna rapidement la tête de tous les côtés, apeuré.

« - Reste calme, lui dit doucement l’alchimiste. Tu viens juste de te réveiller, ne t’épuise pas déjà. Je suis Cadus Truns, alchimiste de fonction. On t’a retrouvé dans un village non loin d’ici, évanoui. On s’est donc occupé de toi. »

Le garçon se calma un peu, et plongea ses grands yeux bleus, visiblement remplis de questions, dans le regard de son soigneur. Il se passa de nouveau la main sur le front, comme lorsqu’on est atteint d’une forte migraine et, après quelques longues minutes de silence qu’il passa à regarder la pièce où il était, ouvrit finalement la bouche pour s’exprimer.

« - Je… euh… Je m’appelle Yzan… Yzan Raash. Je viens d’Irlidior, un village dans les montagnes de l’ouest…
- Quel âge as-tu, Yzan ? Demanda, toujours de son ton calme, Cadus.
- J’ai 13 ans Monsieur…
- Et qu’est-ce qu’un enfant de 13 ans comme toi fait aussi loin de chez lui ? »

Un nouveau silence s’établit entre les deux hommes. Yzan détourna son regard, et tripota machinalement le collier qu’il portait autour de cou. Visiblement, il ne voulait soit pas en parler, soit avait du mal à l’exprimer. A plusieurs reprises, il prit profondément sa respiration, sans rien dire, avant de finalement se décider à rompre le silence pesant qui s’était installé.

« - Mon village a été attaqué… Enfin, je crois. J’étais parti avec ma grande sœur… Quand on est revenu, on a vu qu’il y avait de la fumée, et on entendait des bruits bizarres… Comme des gens qui se battent. Elle m’a dit de ne pas m’approcher. Et puis, et puis… il y a eu les chevaux qui venaient. Elle m’a dit de me cacher loin… C’est ce que j’ai fait… J’ai couru, je, je… »
Cadus lui fit signe de s’arrêter là, alors que le garçon commençait à avoir les larmes aux yeux. Sa respiration était de plus en plus rapide, et raconter tout cela semblait l’avoir profondément épuisé.

« - Bien, inutile de m’en dire plus pour l’instant. Je vais aller te préparer à manger. Prends le temps de te reposer aujourd’hui. Nous irons voir les gardes du village demain matin, pour que tu leur racontes tout ça. En attendant, reste calme et évite les efforts inutiles. »

Le jeune garçon hocha la tête en signe d’approbation et, s’installant un peu mieux dans le fauteuil, ferma les yeux quelques instants, pour se calmer et reprendre un peu de force. Il avait du mal à penser calmement, du mal à réfléchir. Par instant, son corps se contractait au souvenir de ce qu’il avait vu. Au souvenir de la fumée au loin, des bruits de bataille, des chevaux qui approchaient, de sa sœur qui le laissait. Il sombra petit à petit dans le monde des rêves, avant d’être réveillé par une douce odeur. Il rouvrit les yeux et, en même temps qu’il se retourna pour savoir d’où cela venait, Dauin descendait les escaliers, visiblement attiré lui aussi par le doux fumet. Leur regard se croisa, et Yzan se cacha un peu derrière le fauteuil, ne laissait apparaître que les yeux et le haut de son crâne.

« - N’ait pas peur, lui dit Cadus. C’est Dauin, mon collègue de travail. Il est alchimiste lui aussi. Et il ne te fera aucun mal. »

A ces mots, le jeune homme se redressa, alors que le petit alchimiste vint lui serrer la main. Tous trois s’installèrent ensuite à table, autour du petit-déjeuner qui, bien que léger, avait déjà pour mérite de remplir un peu le ventre vide du nouveau venu. Après que Yzan eut raconté son histoire à Dauin, le repas se déroula en silence – ou presque au vu des bruits de mastication – et ce n’est qu’à la fin de celui-ci que l’alchimiste trapu prit la parole.

« - Alors comme ça, tu es un membre du Culte de Fae’orn, n’est-ce pas ?
- Euh oui… Pourquoi, vous ne l’êtes pas vous ? demanda timidement le garçon.
- Pas le moins du monde, répondit Cadus. Nous sommes alchimistes, donc nous faisons partis du Cercle du Savoir. »

Le jeune homme le regarda avec de grands yeux, ne semblant pas comprendre la relation de cause à effet entre le métier et l’appartenance à l’une des factions. Il ne posa cependant aucune question, et se contenta de baisser les yeux vers son assiette.
Le reste de la journée continua ainsi, sans encombre. Les deux alchimistes vaquaient à leurs occupations, surveillant du coin de l’œil l’adolescent qui se baladait un peu dans la maison et dehors, s’arrêtant parfois pendant une petite heure pour lire un des nombreux livres présents dans les bibliothèques. Non pas qu’il ne semblait réellement lire, car il mettait du temps à passer ne serait-ce qu’une page, mais il avait en tout cas le regard perdu en pleine réflexion, comme s’il ressassait sans cesse la même chose.

Après le repas du soir, où seuls les deux scientifiques discutèrent, Yzan sortit discrètement et s’allongea dans l’herbe devant la maison. Le ciel était plus couvert que la veille, cachant par moment la lune, mais on pouvait tout de même apercevoir bon nombre d’étoiles. Il les observa longtemps, tendant parfois sa main comme pour les attraper et, dans un soupir de tristesse, la laissait retomber doucement sur la douce pelouse.

« - Tu ferais mieux d’aller dormir. Demain, nous partirons dès les premières lueurs. »

Le jeune homme ne prit pas la peine de regarder qui était là. Cette voix ne pouvait être qu’à Cadus, beaucoup plus calme que celle un peu plus excitée de son compagnon. Il ne répondit pas et, après quelques secondes de silence, l’alchimiste vint s’allonger à ses côtés.

« - J’aime bien venir ici aussi. Observer les étoiles. Ça me détend. »

L’adolescent le regarda un peu, puis se retourna vers le ciel. Il ne répondit rien, de nouveau. Il se contenta d’observer, longuement. Il réfléchit. Comment se fait-il que regarder les étoiles puissent nous détendre ? Il ne savait pas. Ou plutôt, il n’était pas sûr de le savoir. Il n’était même pas sûr de savoir ce qu’était une étoile. Bien sûr, on lui en avait raconté des choses. Chaque étoile était un dieu ou une déesse. Un Faiseur, pour être précis. Il n’avait jamais totalement compris tout cela. Il n’était pas sûr de le comprendre vraiment un jour. Mais on lui avait dit que c’était comme ça, alors c’est ce qu’il avait retenu. C’est ce que ses parents lui avaient appris. Ces mêmes parents dont il n’avait aucune nouvelle.

Des larmes coulèrent doucement sur ses joues. Il n’avait pas pleuré – presque pas – depuis son départ. Il n’avait pas eu le temps pour ça. Il ne pensait qu’à aller loin, le plus loin possible. Loin de la fumée, loin des bruits. Mais ici, dans la tranquillité de la forêt, tout semblait revenir. A mesure que le vent soufflait sur son visage, les larmes coulaient de plus en plus. Il ne pouvait plus se retenir. Plus il y réfléchissait, plus il voulait s’arrêter, plus il continuait. Bientôt, il ne contrôlait plus rien, et un torrent déferla sous ses paupières. Il ne pouvait plus se retenir. Il ne voulait plus se retenir.

Il sentit tout à coup une main dans ses cheveux, frottant doucement son crâne. Cadus était là, accroupi à côté de lui. Il l’avait presque oublié, avec tout ça. Il avait presque oublié qu’il était là, à ses côtés. L’alchimiste lui sourit doucement, un sourire aussi calme que sa voix, puis se leva pour retourner à l’intérieur. Il n’y avait pas eu de mots. Il n’ en avait pas eu besoin. Lentement, les larmes s’arrêtèrent de couler. Le calme revint en lui. Il n’y avait rien qu’il ne puisse faire de plus, de toute façon. Il n’avait plus qu’à attendre, voir comment les choses allaient évoluer. Les gardes allaient les retrouver ces bandits. Et ses parents… C’est avec cette pensée, plutôt joyeuse, que le jeune garçon retourna à l’intérieur, et s’endormit sur son fauteuil.


Récit un peu mystérieux et captivant. J'ai pris plaisir à lire. Je te félicite et t'encourage car tu es sur la bonne voie. J'adore les légumes et fruits. Je fais régulièrement des recettes avec mes appareils électroménagers. http://everytest.fr/
Marina68
Concis
Concis
 
Messages: 2
Enregistré le: 21 Déc 2017 16:32
Haut


Ecrire un commentaire
9 messages • Page 1 sur 1

Retourner vers Heroic Fantasy

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 1 invité

  • Index du forum
  • L’équipe du forum • Supprimer les cookies du forum • Heures au format UTC + 2 heures
  • News News
  • Plan de site Plan de site
  • SitemapIndex SitemapIndex
  • Flux RSS Flux RSS
  • Liste des flux Liste des flux
Theme made by Matti & jacoSZEF, gry pc, reklama sem reklama optymalizacja
Powered by phpBB © 2000, 2002, 2005, 2007 phpBB Group
Traduit par phpBB-fr.com
phpBB SEO
cron

Phpbb-services

Wikipedia Affiliate Button   Site du Zero  TransferNow

Ce site est listé dans la catégorie "Littérature" des annuaires :
Annuaire WRI   Dico du Net   Visiter ForumLinker.com : Annuaire des Forums     yagoort.jpg   Webmaster Rank